Taubira, Pujadas, et la couleur des cache-misère
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 66 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Recevant à domicile Taubira-le-laxisme, Pujadas-la-sécurité emporte la première manche.
Alors, cette nouvelle peine de "contrainte judiciaire" que vous voulez introduire dans la loi, en complément à la prison, pouvez-vous nous la décrire concrètement ? Que vont-ils faire, ces nouveaux condamnés à la "contrainte" ? Repeindre des murs ? Tondre le gazon de la mairie ? Taubira esquive, contourne, philosophe. Soit elle n'a aucune idée de la loi qu'elle s'apprête à défendre, soit, pour des raisons mystérieuses, elle se refuse à l'expliquer clairement à la France qui la regarde. Soit encore, comme le laissent entendre ceux qui se sont penchés sur la question (ici l'enquête de Rue89, là l'analyse du Monde), le contenu de cette nouvelle peine reste encore remarquablement flou et personne, au ministère de la Justice, n'a pris la lourde responsabilité de lui rédiger une fiche. Tout juste apprend-on que celui qui aura endommagé une voiture devra "la réparer". A vos fers à souder !
Mais le plat de résistance est à suivre. En ombre chinoise, de profil, voici la mère d'une jeune femme, Priscilla, victime le mois dernier d'une sauvage agression par un récidiviste qui bénéficiait d'un régime de semi-liberté (l'article qui a sans doute motivé son invitation est ici). De longues minutes durant, la ministre écoute, muette, le récit de la mère (ici un résumé de la séquence par France Télévisions). La ministre face à la victime : Pujadas tient sa séquence, celle qui scotche, celle qui restera. Sur le visage impassible en gros plan, le moindre tremblement est un signe, un aveu, un discours : compassion, empathie, indifférence, insensibilité ? Rien ne va plus : roule roule la roulette de la condamnation ou de l'acquittement de la ministre. Quels mots va-t-elle trouver ? Les connait-elle déjà, ou va-t-elle improviser ?
Elle choisit le silence. Non, elle ne donnera pas à Pujadas ce qu'il attend, ce qu'attend tout le dispositif. Elle n'aura pas un mot de commentaire sur le cas particulier de Priscilla. Bravo ! Passe ici le fantôme sinistre du sarkozysme médiatique, des lois-faits-divers sorties du chapeau sous le coup de l'émotion. On l'approuve d'autant plus que le cas évoqué n'a aucun lien avec la fameuse "contrainte judiciaire", qui n'est pas censée s'appliquer aux récidivistes. Elle ne tombera pas dans le piège. "Mais tout de même, il était en semi-liberté pour travailler dans une supérette, et cette supérette était fermée en août" insiste Pujadas. Non. Pas un mot.
Et c'est ici que Taubira, qui aurait pu remporter cette manche-là, plaider la muraille de Chine entre logique politique et logique médiatique, commet la faute. Si manifestement les exigences du régime de semi-liberté, dans ce cas particulier, n'ont pas été respectées (avant l'agression, le détenu était rentré à sa prison plusieurs fois après l'heure limite), il était du devoir du ministère d'ordonner une enquête administrative. Ne préjugeons rien : sans doute l'enquête aurait-elle, une nouvelle fois, souligné les sous-effectifs, surtout en période de vacances, des conseillers d'insertion et de probation. Sans doute aurait-elle une nouvelle fois souligné, loin des querelles de principe, la misère de la Justice. Mais au moins ce travail aurait-il été fait, évitant de laisser l'impression diffuse que, d'une majorité l'autre, seule change la couleur des cache-misère.