Comme un suicide à La Poste

Daniel Schneidermann - - Silences & censures - Le matinaute - 105 commentaires

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On sait qu'elle s'appelait Pauline.

Elle avait 21 ans. Elle était factrice en CDD en Haute-Loire, à Monistrol sur Loire. Et le 15 février, on l'a retrouvée pendue chez ses parents. Voilà ce que l'on sait. Est-elle "une suicidée de La Poste", inaugurant un feuilleton qui pourrait prendre le relais des suicides à France Télécom ? Libén'en dit pas beaucoup plus: "La veille de sa mort, la Poste venait de lui signer un nouveau CDD. Sa première journée avait été difficile. Le matin du drame, elle prend son poste à 6 h 30. Un cadre, voyant son état de fatigue, la renvoie chez elle. A 8 h 30, ses parents la découvrent à son domicile, pendue". Etrange. Pourquoi se suicider, alors qu'on vient de décrocher un nouveau CDD ?

On en apprend davantage à la lecture de L'Huma. On venait de confier à Pauline une tournée difficile, dans une région montagneuse et enneigée. La veille de son suicide, elle n'a pas pu achever sa tournée, en dépit de onze heures de travail. Elle arrive tôt le matin. Elle a du courrier en retard. Elle n'a pas dormi de la nuit. Son chef, la voyant épuisée, lui "propose" de rentrer chez elle. Elle se pend quelques heures plus tard. Quelques détails supplémentaires encore dans le quotidien régional, Le Progrès (édition locale). On y apprend qu'elle a dû écouler le retard de courrier laissé par son prédecesseur, un autre CDD, parti en arrêt maladie. La direction assure que « la salariée avait accepté les heures supplémentaires pour écouler un surcroît de volume. Des heures qui ont été prises en compte financièrement. »

Voilà ce que disent les articles, pas davantage. Evidemment, il y a tout le cadre, qu'on reconstitue mentalement. La tournée maudite, sur des départementales enneigées, que la direction refile à de jeunes CDD, sur fond de suppressions de postes. Mais pour en savoir davantage, il faudrait aller sur place, enquêter. Il faudrait la parcourir, cette tournée du secteur de Saint-Just-Malmont, que la direction, si l'on comprend bien, suppose qu'un facteur sachant facter peut effectuer en cinq heures. Près d'un mois après le suicide, aucun journaliste n'a encore vraiment enquêté sur ses circonstances précises. L'article du Progrès, daté du 7 mars, semble être le premier consacré à l'affaire, trois semaines après le suicide. On a beaucoup moins enquêté sur le suicide de Pauline, par exemple, que sur les circonstances dans lesquelles Nicolas Sarkozy a dit à Valeurs Actuelles qu'il était prêt à se dévouer pour le bien de la patrie. L'a-t-il dit en demandant qu'on le répète ? En demandant qu'on ne le répète pas, mais en espérant qu'on le répète ? Ou l'inverse ? Voilà un vrai sujet d'enquête, garanti sans routes enneigées de Haute-Loire.

«Il n’y a pas d’éléments permettant d’établir la responsabilité de l’entreprise. Ce sont des drames personnels et familiaux, où la dimension du travail est inexistante ou marginale» a déclaré le président de La Poste, Jean-Paul Bailly, le 28 février, à propos du suicide de Pauline, et de trois autres suicides récents, au cours d'un conseil d'administration. Disons plutôt: "aurait" déclaré. Ces phrases, si elles ont été entendues par des syndicalistes, ont ensuite été adoucies, à coups de "souvent", dans le compte-rendu écrit du CA, comme le précise Libé, qui conclut: "la direction contestait hier ce récit" (des syndicalistes). On la comprend.

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