Les chiens, les grizzlys, les cochons
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 142 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
D'une transgression l'autre. D'un saisissement l'autre.
Après le grizzly, le cochon. Après la lettre du patron de Titan, être frappé, à son réveil de matinaute animalier, par ces phrases-là:"Ce qu’il y a de créatif, d’artistique chez Dominique Strauss-Kahn, de beau, appartient au cochon et non pas à l’homme. L’homme est affreux, le cochon est merveilleux même s’il est un cochon. C’est un artiste des égouts, un poète de l’abjection et de la saleté. Le cochon, c’est la vie qui veut s’imposer sans aucune morale, qui prend sans demander ni calculer, sans se soucier des conséquences. Le cochon, c’est le présent, le plaisir, l’immédiat, c’est la plus belle chose qui soit, la plus belle part de l’homme. Et en même temps le cochon est un être dégueulasse, incapable d’aucune forme de morale, de parole, de sociabilité. L’idéal du cochon, c’est la partouze : personne n’est exclu de la fête, ni les vieux, ni les moches, ni les petits. Alors que DSK m’a toujours semblé être franchement à droite, ce communisme sexuel auquel il aspire en tant" que cochon me réjouit".
Etre frappé par ces phrases de Marcela Iacub, dans l'entretien que la juriste-chroniqueuse accorde au Nouvel Obs, avec les bonnes feuilles du livre qu'elle vient d'écrire sur sa liaison de sept mois, en 2012, avec DSK (Belle et bête, Ed. Stock). Iacub, Taylor, deux textes inclassables, deux textes de dévoilement. Taylor se dévoilait lui-même. Iacub plaque sa vérité fantastique sur le personnage de DSK. Ne discutons pas du livre, que je n'ai pas lu (à l'inverse de l'hebdo, que j'ai couru chercher au kiosque dans le frimas, comme quoi le gratuit-payant peut fonctionner, pour peu que). Ne départageons pas encore, à propos de ce texte, deux intuitions contraires. L'intuition que Iacub touche juste, que les armes du journalisme ou de la Justice ne permettront pas de comprendre mieux qu'une juriste perchée et zoophile les quelques minutes opaques de la suite 2806 du Sofitel. Et l'intuition inverse, que Iacub, même si elle a prêté son corps et son âme, restera aveugle à la part sociale et politique de la tragédie. L’idéal du cochon, c’est la partouze : personne n’est exclu de la fête, ni les vieux, ni les moches, ni les petits : certes. Sauf que les partouzes en question se déroulaient dans des palaces, à grand renfort de traversées transatlantiques. Le communisme sexuel, DSK le pratiquait entre maitres du monde, et Iacub n'y est d'ailleurs pas aveugle, qui rapporte dans L'Obs une confidence de Anne Sinclair, "il n'y a aucun mal à se faire sucer par une femme de ménage". Mais peu importe.
Le hasard des lectures fait que ce texte de Iacub s'entremêle aussi avec le dernier roman de Marie N'Diaye, Ladivine, que je viens de terminer. N'Diaye y parcourt de mystérieuses et merveilleuses passerelles entre l'univers des humains et celui des chiens, des grands chiens protecteurs et bienveillants. Et tout au long de ces passerelles, on se sent capturés, saisis, compris, dans nos impostures, nos reniements, nos hontes, nos enfermements dans la triste condition humaine. Ce sont les chiens, les grizzlys, les cochons et les truies, qui nous disent le mieux, ces jours-ci, le conte cruel de la vie.