Le roi François, sa guerre, ses éléphantes
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 161 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Et maintenant, cap sur les éléphantes.
Prenant sans doute exemple sur Napoléon qui avait réorganisé la Comédie Française depuis Moscou, Hollande le Malien a trouvé le temps d'accorder un sursis aux deux éléphantes du zoo de Lyon, menacées d'euthanasie pour tuberculose présumée, et soutenues par la fondation Brigitte Bardot. Il fallait rien moins que le chef de l'Etat, en effet, pour que ce dossier connaisse une percée décisive.
La sollicitude pachydermique de Hollande sera sans doute excellente pour ses sondages. Il ne peut rien contre les suppressions d'emploi chez Renault. Mais il peut, en sus de conduire une guerre, sauver les éléphantes. Car voilà la question essentielle que pose la guerre du Mali, et les journalistes politiques l'ont bien compris: 'est-ce bon pour la cote de Hollande ? Cette cote va certainement être observée à la jumelle par l'appareil médiatique français avec autant d'attention, sinon davantage, que la situation sur le terrain. Elle l'est déjà. La guerre du Mali est "providentielle" pour Hollande, explique longuement Le Monde dans son article de Une d'hier. Car voilà: en France, qu'on le veuille ou non, c'est la conduite d'une guerre qui "fait "un chef d'Etat. Avez-vous remarqué comme il a changé, comme son pas est lent, son verbe grave, et qu'il a cessé de reprendre du dessert ?"L'on en revient alors aux circonstances qui, de tout temps, ont fait qu'un roi est pleinement roi : la mort de son prédécesseur, la conduite de la guerre, la diplomatie". La faute à cette France, qui "ne peut décidément rompre avec ses racines monarchiques".
Mais qui a décidé, dans quel bureau, que la France "ne pouvait décidément rompre avec ses racines monarchiques" ? Est-on allé demander aux ouvriers de Renault ou de Florange, aux chômeurs, aux mal-logés, s'ils avaient "décidément" du mal à "rompre" avec les "racines monarchiques" de la France ? Ce n'est pas la conduite de la guerre qui "fait" un chef d'Etat. C'est la constitution de 58, une constitution contestée, qui accorde au président, et à lui seul, le pouvoir de faire la guerre. Le journalisme français (précisions: le journalisme politique français; car le même journal consacre aussi un article détaillé, et salutaire,aux premières allégations d'exactions à l'encontre de l'armée malienne), dans son indécrassable tradition saint-simonienne, ne se contente pas de constater la nature monarchique des institutions. En inversant les causalités, en déployant son lyrisme sur le lourd manteau du chef de guerre Hollande après celui de Sarkozy, il la couve comme le lait sur le feu, il la perpétue.