Marketing journalistique
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 43 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
On peut jouer au naïf, cinq minutes ?
Les centaines de journalistes qui se pressent aux conférences de presse présidentielles, que vont-ils exactement y chercher ? Tiens, au hasard, prenons Laurent Joffrin. Le directeur de l'Obs a rencontré Hollande en tête à tête la semaine dernière. Il en a fait la couverture de son hebdo "Hollande off". On suppose donc qu'il a eu tout loisir de lui poser toutes les questions imaginables. On présume sa légendaire curiosité, pour un temps, assouvie. Alors, quel besoin de retourner à l'Elysée, de jouer des coudes au milieu de 400 confrères moins privilégiés, pour poser une question sur l'austérité ?
Sauf à supposer qu'il avait oublié de la poser, cette question, une réponse s'impose: il faut y être pour se montrer. Se montrer aux confrères (je suis là où il faut être, toi aussi, on est donc des égaux, ok, on est toujours dans le coup, parmi ceux qui comptent, on se fait une bouffe un de ces jours ?) et, si l'on est choisi par le directeur de la communication, se montrer à la France, posant sa question. Ciselée, insolente, pertinente, impertinente, précise, vague: la question, c'est le journaliste. C'est un petit clip gratuit, offert par l'Elysée, pour son journal, sa télé, sa radio, ou son site. Ainsi, posant à Hollande une question sur l'inefficacité de l'austérité, Joffrin positionne L'Obs à gauche. C'est du mar-ke-ting. Compris ? Même si subsiste un mystère: tous ces hardis faiseurs de couvertures sur la nullité de Hollande, sa fadeur, son inexistence, où sont-ils passés, pendant la conférence de presse ? Ca mériterait une enquête. Et soyons justes, il s'est tout de même passé quelque chose. Deux fois (sur les gaz de schiste, et sur le droit de vote des étrangers), le président a été relancé, avec de fortes formules du genre "il me semble que vous n'avez pas totalement répondu à la question". La République tremble sur ses bases.
Bon, tu fais le malin, matinaute, mais où étais-tu, toi-même, tandis que le nectar du journalisme français se pressait à l'Elysée ? Eh bien, à mon poste. Devant la télé. Et pourquoi n'y es-tu pas allé toi-même, à l'Elysée ? Puisque vous êtes si forts, à arrêt sur images, vous auriez certainement su le relancer, le président, pour le forcer à répondre à la question terrible, imparable, qui vous brûle certainement les lèvres. Vous y auriez eu droit vous aussi, au clip gratuit. A vrai dire, voyez comme on est, indécrassablement spectateurs, la question ne s'est même pas posée, de savoir s'il fallait demander un carton pour la fête. En quoi on a peut-être eu tort, d'ailleurs. Se trouver sur place est au moins la garantie de pouvoir raconter, comme les confrères de Télérama cités plus haut, ce qui s'y est passé. Allez, promis, on va commencer à réfléchir à la question qu'on ne posera pas dans six mois.