L'élection, la petite fille et le statisticien

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 84 commentaires

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Il est un métier que dans mes pires cauchemars, je détesterais exercer:

chercheur d'invités pour les matinales radio, à la veille de l'élection américaine. Une épouvante de programmeur: il faut trouver des Américains raisonnablement francophones, prêts à veiller jusqu'à deux heures du matin, heure locale, pour venir commenter au micro d'une radio d'un pays sorti du champ de vision mondial (la France) un événement qui ne s'est pas encore produit. Résultat: le malheureux Patrick Cohen s'était rabattu sur Ariana Huffington, la blonde permanentée qui dirige le site dont la filiale française est le partenaire de Radio France pour l'événement (la patronne de ladite filiale française, Anne Sinclair, était d'ailleurs au micro la veille). Cerise sur le cheesecake, il avait réussi à attirer au téléphone une ancienne ministre de Clinton, Madeleine Allbright, 75 ans aux fraises. Chapeau l'artiste, pour avoir évité les nonagénaires. Et vivement que ça se termine.

 La bonne nouvelle du matin, c'est que l'insoutenable suspense sera, en effet, terminé demain. Terminé le pensum de géo quotidien sur la Floride, l'Ohio et la Virginie. Terminé, le feuilleton haletant de l'affrontement entre "un réactionnaire mormon aveuglé de nationalisme, et un démocrate à la ramasse", comme dit un de nos excellents observateurs français. Comme la petite Abigael qui aura été, en une minute et cinq secondes, le meilleur éditorialiste de la presse mondiale, nous en serons tous soulagés. Si je me permets d'ironiser, c'est parce que l'élection de l'un ou la réélection de l'autre, ne changeront fondamentalement pas grand chose à la marche du monde. C'est aussi parce que si j'en crois Nate Silver, l'élection est pliée: ce sera Obama.
 

  

Qui est Nate Silver ? En apparence, un blogueur. Et accessoirement, un statisticien, qui compile les résultats de 136 sondeurs, fait passer l'ensemble dans la moulinette d'un algorithme de son cru, et en a retiré la certitude (avec un degré de 84%, excusez de la précision) que Obama serait réélu. Pour crédibiliser les prédictions de Nate Silver, on rappelle qu'il avait prévu les résultats de l'élection de 2008 dans 49 états. Pourquoi ne connaissez-vous pas le nom de Nate Silver ? Parce que les médias français ne lui donnent pas la parole. Et pourquoi ne lui donne-t-on pas la parole ? Mais vous n'y pensez pas. Il casserait le métier. Que deviendraient les savants prévisionnistes, les reporters de terrain, les vendeurs de sondage de vent qui donnent "les deux au coude à coude", bref, tous les marchands de suspense, de fête, d'extase terminale, si l'on tentait de traiter scientifiquement les enseignements des sondages américains ? Imaginez-vous Nate Silver au micro de Patrick Cohen ? Mieux vaut aller chercher ceux qui ne briseront pas le rêve.

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