Les "synergies" de Citizen Pigasse
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 51 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Imaginons: Sarkozy réélu, Serge Dassault (déjà propriétaire du Figaro) prend une participation dans Le Parisien aux abois.
Ou bien, tiens, il rachète France-Soir. Ou les deux. Et le tout se déroule sous la haute bénédiction d'Etienne Mougeotte, ex-directeur du Figaro, nommé conseiller présidentiel pour la culture. Imaginons, oui, l'effroi, et les hurlements sur les atteintes au pluralisme et à la liberté de la presse.
Revenons sur terre, dans une réalité qui, heureusement, n'a rien à voir avec ce cauchemar. Rien à voir en effet: le banquier Matthieu Pigasse, apprend-on, pourrait prendre "une participation" à Libé. Pigasse, rappelons-le, est déjà l'un des trois propriétaires du Monde (outre qu'il est propriétaire des Inrocks, et du Huffington Post). Et la constitution de ce petit empire se déroule sous la haute bénédiction de David Kessler, nouveau conseiller pour la culture de François Hollande, lequel était jusqu'à présent dirigeant du groupe de presse de Pigasse, directeur de la publication des Inrocks et du Huffington Post. Mais rien à dire, tout va bien, cela se passe à Normaland.
Vous me direz: pourquoi craindre pour le pluralisme ? La rédaction du Monde n'a cessé de faire preuve de son indépendance, y compris à l'égard de ses propriétaires, et des hautes personnalités qui volètent autour du prestigieux quotidien (voir par exemple la critique implacable, et hilarante, du film de BHL, membre du conseil de surveillance du journal). C'est vrai. Mais la liberté d'expression est une chose fragile, qui ne s'use que quand on ne s'en sert pas. L'article du Monde paru hier, et relatant ces grandes manoeuvres médiatico-financières, est la parfaite illustration de l'autocensure qui menace, comme un cancer, toute entreprise de presse parlant d'elle-même. O surprise: devant les grands projets du propriétaire du Monde, Le Monde est enthousiaste. Selon Xavier Ternisien, auteur de l'article, le nouvel empire de presse pro-gouvernementale ainsi constitué serait "un projet éditorial qui aurait du sens, avec de nombreuses synergies". Je précise: ce n'est pas Ternisien qui se livre directement à cette audacieuse analyse. Ce sont, selon lui, "beaucoup d'observateurs". Non cités, évidemment. Conflit d'intérêt ? Quel conflit d'intérêt ? Le mot ne figure pas dans le petit article. Concentration ? Quel vilain mot ! Kessler, le château ? Mais de qui donc parlez-vous ? Voilà. C'est ainsi que les choses commencent.