Qui a tué Eva Joly ?
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 373 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
La cause est entendue, et ce doit être vrai puisque la France entière le répète en boucle:
Eva Joly est nulle, archi-nulle, et ferait mieux de retourner immédiatement en Norvège, réfléchir sur l'avenir des défilés militaires dans un cadre éthique. Mais quels sont les éléments à charge, exactement ? Elle a refusé, excusez-la, de dire explicitement qu'elle appellerait à voter Hollande au second tour, tout en appelant à voter contre Sarkozy. On eût pu estimer que cette position était claire ou, disons, raisonnablement claire, la plus claire qu'elle puisse tenir dans sa situation. Je n'ai pas le souvenir d'un candidat qui, six mois avant une élection, accepte de se placer explicitement dans l'hypothèse où il serait battu. On fait semblant d'y croire. On joue avec le questionneur. On répond sans répondre, quelque chose comme: "bien évidemment, M. Aphatie, chacun votera pour le candidat le mieux placé". Personne n'est dupe, mais c'est la règle du jeu. C'est d'ailleurs ainsi que l'ont compris, dans un premier temps, mes très estimables confrères d'un site aussi peu suspect de jolysme que Le Figaro, puisqu'ils titrent d'abord ainsi la dépêche AFP: "Eva Joly ne se trompe pas d'ennemi".
Mais Joly est dans le viseur. De qui exactement ? De la presse ? Des socialistes ? De ses chers amis verts ? Qui a tué Davey Moore ? demande la chanson. Qui est reponsable et pourquoi est-il mort ? Tout le monde et personne. Mais Joly a le statut de morte en sursis. Très vite, donc, le site du Figaromodifie son titre pour un titre à la limite du mensonge ("Eva Joly n'appelle pas à voter Hollande"). Je ne dis pas que c'est Le Figaro qui propage l'incendie, et amène le porte-parole de Joly à annoncer sa démission sur Twitter quelques instants plus tard, inaugurant une journée de psychodrame. Disons qu'il y a une ambiance. Et chacun de répéter, en boucle, le crime impardonnable de Joly.
A la vérité, le vrai crime de Joly n'est peut-être pas là. Aux yeux des socialistes, c'est d'avoir déclaré, la veille, que les socialistes étaient "du bois dont on fait les marionnettes" (pour avoir prêté une oreille trop complaisante aux demandes d'AREVA). Aux yeux des Verts, c'est de risquer de faire capoter un accord électoral qui leur promet un nombre appréciable de circonscriptions. Aux yeux des journalistes politiques, d'être une mauvaise cliente, qui lit ses notes, est affublée d'un accent impossible, et ne répond pas aux questions. Encore que ces derniers points se discutent. Mauvaise cliente ? Le feuilleton de la mise à mort de Joly peut tout de même fournir un complément appréciable au feuilleton DSK, ou à celui de l'éternel retour de Sarkozy. Tout ceci militant pour une mise à mort, certes, mais pas trop rapide.
Davey Moore, boxeur, 1933-1963