Juppé, enfin !
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 67 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Enfin ! De Tunis à Benghazi, de la place Tahrir à Manama
, en passant par Alger, Amman et Casablanca, ce ne fut qu'un cri: Juppé, enfin ! Enfin le retour du gaulliste historique, de l'homme qui avait été aux côtés des démocrates arabes aux heures les plus sombres, de celui qui, dans son pays même, en France, incarne la lutte sans concession contre le népotisme immobilier, le reniement de la parole politique, les emplois fictifs et le cumul des mandats.
Un instant, sitôt que les médias français annoncèrent la nouvelle de la promotion du "nouvel homme fort" du gouvernement, et tressèrent les louanges du "poids lourd", de "l'homme d'expérience", les assaillants des ministères interrompirent les assauts, les tankistes improvisés tirèrent des salves d'honneur, partout l'insurrection arabe, comme un seul homme, marqua spontanément une minute de silence. Dans leurs palais assiégés, les derniers tyrans subsistants, eux aussi, accusaient le coup. Juppé ! Malédiction ! De l'homme qui, le premier, à peine Ben Ali, envolé, avait osé dire que la France avait "sous-estimé l'exaspération" du peuple tunisien, montrant par là même comme une forte parole peut abattre les murailles de la tyrannie, ils savaient qu'ils n'avaient rien de bon à attendre.
C'était un raz de marée. On mesura à cet instant combien le visage d'Alain Juppé, dans tout le monde arabe, était dévenu l'icône de la liberté, l'image même de la France telle qu'on avait appris à l'aimer (lire son portrait ici). Faisait-on remarquer aux exaltés arabes que le nouveau Che Guevara français ne pousserait pas la ferveur révolutionnaire jusqu'à être ministre à plein temps; qu'il inaugurait ses fonctions, dès ce lundi, en...présidant le conseil municipal de Bordeaux, remettant ainsi au lendemain l'entrée solennelle de la révolution au Quai d'Orsay; qu'il ne comptait nullement, d'ailleurs, démissionner de son mandat bordelais ? Nos révolutionnaires repoussaient l'argument du revers de la main: "nous sommes trop heureux qu'Alain Juppé soit désormais notre ministre, et que la France, sous son autorité, nous aide et nous accompagne dans la transition difficile vers la démocratie. Dût-il nous consacrer trois jours, deux jours, quelques heures par semaine, nous sommes reconnaissants aux citoyens de la belle ville de Bordeaux de nous prêter, ne serait-ce qu'un bras, un doigt d'Alain Juppé. Nous avons entendu les belles paroles enthousiastes de votre président, et nous savons qu'il les incarnera mieux que quiconque. Du reste, ne nous croyez pas insensibles non plus au geste fort que représente la nomination de Claude Guéant au ministère de l'Intérieur. Si hélas nos révolutions devaient se traduire pour vous par des flux migratoires incontrôlables, et une recrudescence du terrorisme, nous savons qu'ils seraient gérés d'une main ferme, mais humaine, par ce grand commis de l'Etat". Intarissables. Il n'y a rien à répondre à l'Histoire en marche.