Orange, "accompagnateur" du Monde ?

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 31 commentaires

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Ah les petits malins ! Revoilà le château, dans le feuilleton de la prise de contrôle du Monde.

 



Oh, certes pas par la grande porte. Mais par la fenêtre. Une grande et belle fenêtre, tout de même. Ainsi donc, à en croire ses confidences à l'agence Reuters, Stéphane Richard, patron de France Télécom, et accessoirement ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde et ami de Nicolas Sarkozy, serait "intéressé par un partenariat industriel avec Le Monde, pour l'accompagner dans sa transition vers les contenus numériques". On notera avec délice le choix du moment, et le choix des mots. Le choix du moment, d'abord. Richard a soigneusement pris le temps de la réflexion. Alors que l'affaire dure depuis des mois, c'est à quelques jours de la date limite du dépôt des dossiers, que Richard a pris cette décision stratégique. Le choix des mots, ensuite. L'ami du président ne propose certes pas de racheter Le Monde. Ca ferait tout de même désordre. D'ailleurs, ne rêvons pas. Il ne dispose pas des 40 millions nécessaires. Un "partenariat industriel", c'est plus propre., plus neutre, tellement plus présentable. Accompagnons, accompagnons.

 

Le matinaute ne déjeune pas avec Stéphane Richard, ni ne petit-déjeune avec Claude Perdriel, fondateur du Nouvel Obs, et son allié potentiel. Mais le scénario n'est pas difficile à reconstituer. Aux yeux de l'Elysée, dans le feuilleton du Monde, il y a un diable : il s'appelle Xavier Niel, patron de Free. A en croire notre confrère Emmanuel Berretta, habituellement très bien informé (sauf apparemment en ce qui concerne la disponibilité de la fortune personnelle de Richard), Sarkozy aurait appelé voici quelques jours le directeur actuel du journal, Eric Fottorino, pour le mettre en garde contre la proposition de rachat par Niel, cet "homme du peep show". Diantre ! On ne connaissait pas cette délicieuse pudeur à l'ami intime de Balkany. Plus vraisemblablement, ce qui le dérange, c'est la perspective de voir accéder au capital du Monde un millionnaire (Niel) qui ne doit rien à l'Etat. Circonstance aggravante, Niel finance des sites mal-pensants (Bakchich, Mediapart). Incontrôlable. De gauche ou de droite, depuis Louis XIV, l'Etat a un tropisme : contrôler. Une insulte au contrôle, ce Niel. A éliminer.

Or, le trio constitué par le millionnaire geek Niel, le banquier Matthieu Pigasse, et le mécène Pierre Bergé, est à ce jour le candidat le plus sérieux au rachat du Monde. Que faire ? L'omniprésent Minc, grillé par ses intrigues et ses échecs, est hors course dans cette affaire. Son seul nom fait fonction de muleta aux yeux des journalistes du Monde, qui décideront en dernier ressort, entre quelles mains ils déposent leur pouvoir. Que faire, que faire ? Bouygues ? Bolloré ? Tout d'un coup, à l'idée de reprendre le gouffre du Monde, ils se découvrent des oursins dans la poche. Que faire ? Trouver un Minc clean, vierge ou presque, présentable. A moi, ami Richard ! Ledit Richard (suppose le matinaute), pas fou, se fait prier, lanterne, temporise (d'où, à quelques heures du coup de gong, la proposition à Reuters, qu'il faut lire et relire, pour avoir une idée de ce que peut être l'enthousiasme humain). Orange rachetant Le Monde avec Perdriel, c'est tout de même baroque. Mais comment refuser au château ? Comment refuser un geste à l'ami Nicolas, qui, en lui remettant la Légion d'honneur, se laissait aller à ce gentil compliment : «Tu as réussi, Stéphane. Tu es riche. Tu as une belle maison. Tu as une belle femme.» Et maintenant, un beau journal ?

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