Mayotte : "Europe 1" et "Le Figaro" ciblent une juge

Pauline Bock - - Médias traditionnels - Déontologie - Sur le gril - 29 commentaires

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"Méfiez-vous des juges, ils ont tué la monarchie, ils tueront la République." Cette citation en chute d'un article d'Europe 1 du 27 avril, "tournure attribuée à François Mitterrand lors d’un conseil des ministres", résume de façon limpide l'angle d'attaque glaçant choisi par les médias de droite suite à l'ordonnance suspendant en partie l'opération Wuambushu, à Mayotte, lundi. S'en prendre à la justice, ici à la juge Catherine Vannier, qui a signé ladite ordonnance. "Qui est Catherine Vannier, la juge qui a suspendu la destruction d'un bidonville à Mayotte ?", se demandent en chœur la radio de Bolloré et le Figaro.

Ces deux médias de droite très dure – une radio passée sous drapeau bolloréen en 2021, un journal qui n'hésite plus à utiliser sans distance la théorie d'extrême droite du "grand remplacement" – ont une théorie : Vannier ayant été vice-présidente, "à la fin des années 1990", du Syndicat de la magistrature, ce syndicat "classé à gauche" (donc forcément dangereux) aurait dicté la suspension de cette ordonnance. La preuve avancée par ces médias, c'est que le syndicat de la magistrature a envoyé un message à ses adhérents s'opposant à l'opération Wuambushu et déclarant que "l'autorité judiciaire ne sera pas la caution de violations des droits humains".

Pour Europe 1, dans cet email "transparait en filigrane les prémices d’une consigne de conduite à tenir". La radio alerte : "L'histoire prend une tournure idéologique et troublante"trois jours plus tard, car "c'est la présidente du tribunal judiciaire, Catherine Vannier, qui siège en personne" à l'audience dont l'issue est la signature de l'ordonnance qui suspend l'opération Wuambushu  – ce que de nombreux spécialistes du droit ont trouvé parfaitement normal. "La justice a-t-elle été rendue au nom du peuple français ou des opinions d'un syndicat de magistrats ?", se demande Europe 1, tandis que le Figaro voit "une décision de justice qui pose question" et considère que "la question des motivations [de la juge] peut se poser". Un syndicat de magistrats qui défend les droits humains et une juge qui juge, c'est un complot, c'est sûr !

Que des médias de droite s'en prennent à l'institution judiciaire et à ses représentant·es en les ciblant nommément, que le quatrième pouvoir attaque le troisième, devrait inquiéter à tous les niveaux de notre démocratie. Mais la dérive des deux médias ne s'arrête pas là : Europe 1 donne aussi la parole à un invité de la radio, le député LR Mansour Kamardine. Et toutes les digues lâchent : il s'emporte contre "toutes ces associations droit-de-l'hommistes" – un mot du vocabulaire de l'extrême droite, encore – qui sont selon lui "des militants de l'extrême gauche", et "mobilisés contre l'Histoire, contre les intérêts de la France, de Mayotte". Carrément. Le Figaro ne fait pas mieux : dans le Figaro Vox, l'éditorialiste Eugénie Bastié, qui officie d'ailleurs aussi sur Europe 1, s'entretient avec un "conseiller d'État honoraire" qui conclut à "un exemple de plus selon lui d'un État entravé par l'État de droit". Arrêtons-nous un instant sur cette expression, "entravé par l'État de droit", qui ne veut rien dire. L'indice est dans le mot "droit" : l'État de droit n'entrave pas, il protège, notamment la séparation des pouvoirs, et aussi les droits humains. Tout ce qui semble poser problème à Europe 1 et au Figaro.

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