Demorand, Salamé et l'incompréhension du processus démocratique

Pauline Bock - - Médias traditionnels - Sur le gril - 39 commentaires

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Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, quittera ses fonctions le 21 juin prochain. L'annonce a eu lieu cette semaine : il sera remplacé par Marylise Léon, sa numéro 2. Invité dans la Matinale de France Inter le 20 avril, Laurent Berger fait face à un fossé d'incompréhension. C'est bien simple : Nicolas Demorand et Léa Salamé sont perdus.

C'est Demorand qui se jette à l'eau le premier, à propos de "cette annonce qui a surpris tout le monde" : pourquoi partiriez-vous, Laurent Berger, "alors que vous dites que le mouvement n’est pas fini, alors que vous l’avez incarné comme personne ?" Laurent Berger répond, et sa réponse ne changera pas durant les 23 minutes d'entretien : "C'était le dernier bureau national avant le 21 juin", il fallait donc l'annoncer maintenant - après avoir retardé une première fois son départ, qui devait être annoncé le 15 mars.

Mais pour Demorand et Salamé, la démocratie interne d'une organisation syndicale, c'est tout bonnement in-com-pré-hen-si-ble. "Convenez que le timing interroge, beaucoup de gens ne comprennent pas", s'emporte Léa Salamé. "Vous avez été sur tous les fronts, vous vous êtes démultiplié dans les médias, et voilà que quatre jours après la promulgation de la loi, vous annoncez votre démission ! Quelle était l’urgence de le faire maintenant ?" Berger répète patiemment : "Ce n'est pas une démission. Je quitte naturellement une responsabilité d'une organisation qui repose sur un collectif."

Déboussolée, Salamé se raccroche au concept du "kairos", le moment opportun comme disent les Grecs :"depuis trois mois, vous l’avez incarné". Alors pourquoi s'arrêter ? C'est vrai qu'en macronie, où l'on ne va tout de même pas démissionner d'un ministère pour un petit scandale de détournement de fonds, une vague mise en examen ou une accusation de viol de rien du tout, où une fois rééelu, on fait ce qu'on veut jusqu'en 2027 sans jamais devoir se remettre en question, appliquer les règles ou respecter la démocratie, c'est assez peu commun. On peut comprendre, au fond, qu'ils soient perdus, Léa et Nicolas.

Mais chez les chiens de garde bien dressés, les habitudes reviennent vite. Les voilà déjà qui trouvent dans la passation de pouvoir syndical... un affaiblissement dudit pouvoir. Respecter la démocratie d'un syndicat, ne serait-ce pas "une désertion qui affaiblit l’intersyndicale dans ce moment crucial" ? Ou n'est-ce pas parce que Laurent Berger a eu des "différends avec le président de la République" qu'il a dû "accélérer sa décision" de quitter la CFDT? Berger ne peut pourtant pas être plus clair : "C’est déconnecté de l’actualité, des interlocuteurs, c’est une décision interne de la CFDT."

Léa Salamé essaye, mais rien à faire, elle ne pige pas. "Mais est-ce que vous ne partez pas pour ne pas être..." tente-t-elle. "Je pars parce que ce sont les échéances internes d'une organisation collective", répète Berger, las. Salamé hausse le ton : "Vous ne partez pas, pour ne pas être...??? Un obstacle ?" Berger soupire : "Excusez-moi, mais ce serait pas mal que ce soit un peu pareil ailleurs." Salamé a un éclair de génie : "Que les gens ne s’accrochent pas, c’est ça ?" C'est ça, Léa. C'est exactement ça. Imaginez, si c'était pareil ailleurs. À la Matinale de France inter, par exemple. 

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