Un collectif identitaire pille la photo de "l'Est Républicain"
Pauline Bock - - Scandales à retardement - Sur le gril - 11 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
Le carnaval de Besançon bat son plein, ce dimanche 7 avril, lorsque deux militantes du collectif Némésis, qui se prétend "féministe identitaire" mais est surtout d'extrême droite, s'incrustent dans les célébrations, brandissant des pancartes aux relents zemmouriens : "Violeurs étrangers dehors", "Libérez-nous de l'immigration". Elles défilent jusqu'à la tribune officielle.
L'Est républicain est le seul média présent sur place. La journaliste Éléonore Tournier reconnaît rapidement le collectif Némésis, sur lequel elle a publié une enquête moins d'un mois auparavant - et qui a valu au journal une mise en demeure du collectif, qui demandait à ce que l'article soit retiré, selon nos informations. Elle et le photographe du journal Arnaud Castagné se rapprochent, filment et photographient les deux militantes. L'Est républicain publie l'article dans la foulée : il est illustré d'un cliché des deux militantes brandissant fièrement leurs messages racistes.
Le collectif reposte cette photo sur son compte Instagram, en y ajoutant un lien vers le site de Némésis, et sans aucun crédit pour l'Est républicain, d'où provient la photo. (Son post a depuis été modifié pour indiquer "Source de la photo : Le journal l'Est Républicain".)
Le Syndicat national des journalistes (SNJ) a rapidement réagi dans un communiqué et exigé des poursuites : "Cette appropriation sauvage s'est faite, évidemment, sans la moindre autorisation, ni des auteurs, ni de leur média. Autorisation qui, par ailleurs, ne leur aurait pas été accordée." Le SNJ s'indigne que "la photo et la vidéo n'ont pas été créditées comme l'usage l'exige" et que, "pire, un lien renvoyant vers le site internet des militantes a été inséré dans les photos volées".
À Arrêt sur images, l'élu SNJ de l'Est républicain Serge Lacroix, condamne vertement ce "pillage de contenu" et cette "atteinte à la propriété intellectuelle" : "Le plus douloureux, pour les auteurs, c'est de voir leur travail exploité à des fins de propagande, dit-il. On ne travaille pas pour nourrir des militants, quels qu'ils soient. Quels qu'ils soient, mais surtout ceux-là !"
Le SNJ égratigne aussi les médias, qui sont nombreux à n'avoir pas jugé bon de vérifier leurs sources. "Il est par ailleurs très regrettable que plusieurs médias - BFM, Causette, le Huffington Post, le JDD, le Figaro, CNews - aient repris la vidéo et la photo des journalistes de l'Est Républicain dans leurs propres publications en les créditant à leur tour du nom du collectif Némésis, ou du nom des militantes !", s'agace le communiqué.
Si, depuis, les articles du Figaro, du Huffington Post et même du JDD ont modifié leurs illustrations, remplaçant la photo prise par l'équipe de l'Est républicain pour, respectivement, un portrait de la maire de Besançon et une photo de la mairie, ce n'est pas le cas de tous les médias cités par le SNJ. Le magazine Causette a dépublié l'ensemble de son article en douce, tout comme BFMTV sa vidéo ; le site de CNews a tenté de contourner l'absence originale de crédit dans son article en illustrant par... un tweet d'un soutien de Némésis, qui utilise la photo sans la créditer non plus. Hop, plus qu'à signaler "Capture d'écran X", et le (mauvais) tour est joué. D'autres n'ont même pas pris cette peine : le 12 avril au matin, la vidéo de 20 Minutes postée sur les réseaux sociaux et créditant faussement Némésis était toujours en ligne.
Élue SNJ, la journaliste Aziliz Le Berre soupire auprès d'ASI : "En presse quotidienne régionale, on a reçu la nouvelle charte de suivi de l'information, qui souligne l'importance de créditer les confrères. Ça me fait rire jaune, parce qu'à l'usage, comme rien n'est contraignant, personne ne pense à aller vérifier d'où peut venir une photo."
L'image de la pancarte des militantes de Nemesis a inspiré un autre "happening" tout aussi rance, quelques jours plus tard, au Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, où des élu·s d'extrême droite, emmenés par Julien Odoul, ont brandi, pendant la séance du 11 avril, des pancartes anti-immigration au même message que la photo virale : "Violeurs étrangers dehors". Se joignant à la maire de Besançon Anne Vignot, la présidente du conseil régional Marie-Guite Dufay a également annoncé porter plainte pour "incitation à la haine".
"Si cette pancarte est reproduite par les élus RN, c'est parce que les deux militantes ont pillé notre photo", explique Serge Lacroix, qui regrette l'absence de réactivité de la direction de l'Est républicain. "Avec plus de réactivité, on aurait peut-être pu éviter cette viralité", estime-t-il. Lacroix, qui était présent au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, a signifié à Julien Odoul que la photo, que les élus RN ont partagé en masse en ligne, était "piratée par Némésis" et qu'ils n'en avaient pas le droit. Réponse de Julien Odoul ? "Des centaines de comptes politiques l'ont publiée." Bref : circulez, vos histoires de droits d'auteur, on s'en fout.
Selon nos informations, les deux journalistes pourraient porter plainte contre Némésis, et la direction de l'Est républicain a entrepris des démarches pour faire retirer les crédits erronés dans les différents médias et mettre en demeure Némésis. Pas sûr que cela inquiète beaucoup le collectif, qui se frotte les mains sur les réseaux sociaux depuis une semaine de la publicité gratuite faite par cette affaire, avec l'aide du RN et des habituels relais zemmouriens. Vous reprendrez bien un peu de piétinement du droit de la presse avec votre racisme ?