Pascal Perri, les Restos du cœur et les "indigents"
Pauline Bock - - Déontologie - Sur le gril - 21 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
La matinale de LCI débute à peine : il est 6 h 15 ce 5 octobre et les téléspectateur·ices prennent probablement leur petit-déjeuner devant leur poste. Le sujet abordé par le présentateur Jean-Baptiste Boursier a de quoi couper l'appétit : "Les Restos du cœur vont refuser du monde cet hiver", annonce le bandeau de la chaîne d'info. À l'écran, une file d'attente pour une distribution alimentaire à Paris. "Ils étaient 400, hier, explique Boursier. Ce sont des étudiants (...), ils sont là à faire la queue, et c'est devenu indispensable pour certains." Des images devant lesquelles "on ne peut pas rester insensible", estime le présentateur.
Mais l'éditorialiste Pascal Perri aimerait "relativiser" un peu : "Je ne veux surtout pas qu'on donne l'image d'un pays dans lequel les gens auraient faim, et feraient la queue à la soupe populaire." Ah bon. C'est pourtant "littéralement ce qu'on vient de voir" à l'image, lui fait remarquer Boursier. Et ces 400 étudiants sont loin d'être les seuls, puisque, comme on vient également de l'apprendre sur LCI, les Restos du cœur vont refuser des gens pour la première fois de leur histoire.
Rien de bien grave pour Pascal Perri, toutefois. Pour lui, "c'est une facilité" : "Ces jeunes gens ne sont pas non plus dans le dénuement le plus absolu". Qu'en sait-il ? Rien, mais il ne "faut pas compter sur lui pour faire du misérabilisme", prévient-il, car "en France, la grande pauvreté recule". C'est vrai, ça, ce n'est pas parce qu'on dépend d'une association d'aide alimentaire qu'on est en grande pauvreté... Enfin, un peu quand même, disons que c'est un indice de pauvreté certain. Mais pas pour Perri, parce que "la France est un pays qui socialise tout" et qu'on pourrait même considérer que "les Restos du cœur aussi, c'est aussi une forme de socialisation". De toute façon, ce n'est rien d'important, puisque ces étudiants "ne sont pas indigents". Indigent, définition : Qui manque des choses les plus nécessaires à la vie.
Selon une étude du Secours populaire, qu'ASI citait déjà dans notre émission récente sur la précarité alimentaire, plus d'un tiers des Français ont renoncé à manger trois fois par jour. Manger trois fois par jour, selon la science, est nécessaire à la vie, en tout cas à la vie en bonne santé. Mais selon Pascal Perri, pas forcément, puisque même si les Restos du cœur "substituent l'État", "la vocation de l'État n'est pas de donner à manger à tout le monde". Alors, certes, mais la vocation de l'État est tout de même de gouverner et d'organiser le pays, ce qu'il est plus facile de faire lorsqu'un tiers des citoyens ne crève pas de faim.
Déjà, le 4 septembre, lorsque les Restos du cœur annonçaient être en difficulté financière, Pascal Perri se demandait : "Est-ce qu'on n'a pas été un peu trop souples, un peu trop généreux ?" Il qualifiait alors le recours à l'association de "solution un peu facile". Face à Soazig Quéméner, journaliste à Marianne, visiblement choquée, qui lui expliquait que c'est "une extrémité à laquelle les famille se résolvent", il répétait encore : "Je ne suis pas sûr que ce soit une extrémité aujourd'hui."
Plus d'un tiers des Français renoncent à manger trois fois par jour, les étudiants font la queue chaque soir par centaines pour un repas chaud, tant de gens ont faim que les Restos du coeur débordent, mais personne n'est indigent, alors ça va. Sauf Pascal Perri, bien sûr : lui est dans "le dénuement le plus absolu" de compassion et de décence. Peut-être que LCI a été "un peu trop souple, un peu trop généreux" ; peut-être qu'inviter Perri est "une solution un peu facile", une "extrémité" que toute chaîne d'info qui se respecte devrait bannir.