Netanyahu sur LCI : un combat perdu d'avance

Paul Aveline - - Sur le gril - 40 commentaires

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Fallait-il la faire ? Fallait-il donner la parole pendant 30 minutes à Benyamin Netanyahu, Premier ministre israélien menacé d'un mandat d'arrêt réclamé par le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) ? Darius Rochebin et LCI s'y sont risqués. Drôle d'objet que cette interview, pendant laquelle Rochebin est d'emblée limité par le dispositif : Netanyahu est en visioconférence dans son bureau, à 3 000 kilomètres des studios de la chaîne. Toute relance ou interruption du discours de Netanyahu se fait au prix d'une cacophonie aggravée par un décalage minime mais bien présent. La visioconférence empêche la coupe nette, et Netanyahu l'a bien compris.

Pendant 30 minutes, malgré les relances de Rochebin, Netanyahu déroule. Sur le terrorisme, la nécessaire opération militaire dans Gaza, l'impossibilité de cohabiter avec un ennemi comme le Hamas, le terrorisme iranien, l'antisémitisme, le nazisme, l'axe du Mal. Rochebin cherche les réponses : pourquoi autant de morts civiles ? Que répondez-vous à la CPI ? Aux reproches de vos alliés ? Quel sera le sort de Gaza après la guerre ? Netanyahu est imperturbable, il a préparé minutieusement ses punchlines. Sur la CPI, imagine-t-on Churchill et De Gaulle jugés à Nuremberg aux côtés des dignitaires nazis ? Les morts civiles, "pour nous c'est une tragédie, pour eux c'est une stratégie". Les tribunaux peuvent se tromper, rappelez-vous l'affaire Dreyfus. L'opération sur Rafah, c'est le débarquement de Normandie. Gaza après la guerre (comme si elle allait s'arrêter avec la fin de l'opération) ? "Il faudra pouvoir y entrer à n'importe quel moment."

Et sans cesse, Netanyahu réactive son arme rhétorique majeure : le terrorisme que nous combattons ici finira par vous toucher en France. Il a révisé ses fiches, cite à la volée les attentats de Nice, de Toulouse, de Paris. Mentionne Samuel Paty et le Père Hamel "égorgé dans son église", en français dans le texte. Imaginez Gaza en banlieue parisienne. Impensable pour les Français, alors soutenez-nous ici.

Derrière lui, Benyamin Netanyahu a affiché une photo de lui avec son épouse, couple aimant assis sur un canapé. Technique vieille comme le monde, et déjà utilisée dans d'autres interviews controversées. Comment ne pas penser à celle de Bachar al-Assad réalisée en 2015 par France 2 à Damas ? Face à lui cette fois, et non en visioconférence, David Pujadas. Derrière eux, des photos de famille du président syrien, responsable du massacre de masse de sa propre population, de dizaines de milliers de morts et de disparu·es. Face à un Pujadas préparé, notes en main, que disait Assad ? Sensiblement la même chose : nous luttons contre le terrorisme pour que vous n'ayez pas à le faire. Autre interview beaucoup plus récente, en mars dernier, sur les rives de la Moskova (nous vous la racontions ici). Face à la caméra de BFMTV cette fois, Piotr Tolstoï, vice-président de la Douma russe. Mêmes questions, mêmes tentatives, mêmes relances et mêmes réponses.

Dangereux objets que ces interviews de criminels de guerre qui ont besoin de nos ondes pour faire passer leur message. Et s'adresser à leur public. Pendant 30 minutes, Netanyahu a pu le faire, malgré les tentatives désespérées de Darius Rochebin pour arracher un mea culpa, une remise en question, l'ombre d'un doute. Un combat perdu d'avance.

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