Mendy, Bedos, Depardieu: "Sale été" pour les femmes
Pauline Bock - - Médias traditionnels - Sur le gril - 69 commentairesUne bonne semaine médiatique pour les "mauvais garçons" qui "flirtent avec les limites"
Tous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
Samedi 15 juillet. "ACQUITTÉ", clame la Une de l'Équipe. C'est de l'acquittement par la justice britannique le 14 juillet de Benjamin Mendy, footballeur champion du monde en 2018, accusé de viol et de tentative de viol, dont se réjouit le quotidien sportif.
"Acquitté", certes, mais par manque de preuves et après deux procès, dont le premier durant lequel le jury n'est pas parvenu à un verdict sur deux accusations - ce qu'on n'apprendra pas dans l'article de l'Équipe, qui se complaît sur le sort de Mendy. Le pauvre a "fondu en larmes avant d'être officiellement relâché". Mendy, qui selon une victime au procès, se vantait d'avoir couché "avec 10 000 femmes" (vous ne le lirez pas dansl'Équipe). Durant un premier procès l'an dernier, Libération rapportait les mots du procureur, Timothy Cray : il décrivait Mendy comme un "prédateur" pour qui les femmes étaient "des choses à utiliser pour le sexe, puis à jeter". Des mots qui, eux, ne se sont jamais retrouvés en Une de l'Équipe. De toute façon, c'est bon, faut passer à autre chose, là : il a été acquitté, il peut signer avec le FC Lorient et relancer sa carrière ! Hop, "réhabilitation expresse", comme l'écrit Mediapart.
Mardi 18 juillet. Selon Mediapart, qui publie un article dans lequel quatre femmes témoignent, l'acteur-réalisateur Nicolas Bedos est visé par une enquête du parquet de Paris pour "viol" et "agression sexuelle". La journaliste Marine Turchi a plongé dans les archives média, foisonnantes, de la misogynie de Bedos fils, dans lesquelles, écrit-elle, "les exemples de propos virulents à l'égard de femmes en particulier ne manquent pas". Extraits choisis : en 2011, il menaçait une journaliste de Technikart ("j'ai décidé de gifler ta petite trogne d'aigrie") ; la même année, il traitait de "pute" une étudiante qui critiquait son livre sur un plateau de TF1 et se moquait de Tristane Banon, qui dénonçait une tentative de viol de DSK à son encontre. Belle perf', Nico.
Jeudi 20 juillet. Il a donc fallu que le Parisien
, deux jours après l'enquête de Mediapart, se penche sur le sujet. Mais ici, au lieu de décrire un homme qui "profite de sa position de pouvoir" comme l'écrit Turchi, on tire le portrait d'un "artiste qui flirte souvent avec les limites", d'un "ferrailleur" et "polémiste dans l'âme". Et on se désole, en introduction, qu'il passe un "sale été".
Fallait-il rappeler avant toute chose, comme si cela changeait quoi que ce soit, qu'il "a eu pour marraine Gisèle Halimi, avocate pionnière de la libération des femmes et militante féministe historique" ? Utiliser ainsi l'image d'une grande femme disparue, qui n'y est pour rien si son filleul est un "homme de liberté et de noirceur", en public ? Fallait-il donner la parole à Franz-Olivier Giesbert, qui a fait de Bedos fils une "bête médiatique" et sous-entend, en toute décontraction, que les femmes mentent en déclarant que Bedos est simplement "détesté et jalousé dès le début" ("Un tel talent ne suscite pas que de la bienveillance") ? Quant à l'étudiante insultée, puisque "cette drôle de drague lourde en direct s’est poursuivie d’une vraie idylle", c'est bien la preuve qu'il n'y avait rien de grave, conclut le Parisien, en illustrant son propos de ces mots résumant à eux seuls l'essence de cet article imbibé de culture du viol à la française : "Liaisons dangereuses." Avait-on réellement besoin d'un article de plus servant de bingo réhabilitateur, avec des sources anonymes de "proches" qui le résument à un "mauvais garçon" à qui "une fessée ne ferait pas de mal", comme si l'on parlait d'un enfant et non d'un homme de 44 ans dont la misogynie crasse s'étale dans les médias depuis plus de dix ans ?
Toute la semaine, on a aussi pu s'apitoyer sur le sort d'un autre "mauvais garçon", un peu plus talentueux celui-là puisqu'il s'agit du "plus grand acteur français", dans la série d'été du Monde sur "le cas Depardieu" - au demeurant très bien écrite et très complète, et qui ne passe pas sous silence les "dérives" du "monstre sacré". Le premier épisode est tout entier consacré à l'accusation de viol de l'actrice Charlotte Arnould, et d'autres accusations d'agressions sexuelles, qui pèsent contre lui.
Les épisodes suivants reviennent sur ses propos horrifiants sur le viol, que nous exhumions déjà en avril dernier, et rappellent que Sophie Marceau a subi ses humiliations et ses mains baladeuses, qu'il a embrassé de force Julia Roberts, que "quand il dit bonjour à une femme de l’équipe, il fait «pouet pouet» sur son sein. Ou sur ses fesses"... Mais avait-on vraiment besoin d'une série en cinq épisodes sur Depardieu ? Tout ce temps journalistique, toute cette encre, et pour quoi ? Nous rappeler que les femmes ont toujours alerté, toujours parlé, toujours décrit les violences subies (Marceau dénonçait les faits dans les médias dès 1985, dans l'indifférence générale), et que rien n'a changé.
Le "sale été", c'est surtout celui des femmes, celles dont la parole n'est pas écoutée, encore moins publiée, ni dans l'Équipe, ni dans le Parisien, ou alors au détour de paragraphes sur "une puissance en soi, au-dessus des autres étoiles" dans le Monde. C'était une semaine comme une autre dans les médias français, bien décidés à mettre en avant, voire redorer l'image des puissants qui abusent des femmes et s'en lavent les mains médiatiquement. Une bonne semaine pour les "mauvais garçons" qui "flirtent avec les limites". Pas des porcs, juste des porcelets.