Macron, Barnier et le "journalisme d'accompagnement"

Pauline Bock - - Déontologie - Sur le gril - 47 commentaires

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Vendredi dernier, c'était Karim Bouamrane. Lundi, Thierry Beaudet ; mardi, Bernard Cazeneuve ; mercredi, Xavier Bertrand, et BFMTV en était alors sûr : le président Macron "devrait nommer le Premier ministre dans la soirée". Quelques heures plus tard, fausse piste. Mais c'est une exclu BFM : "Le nom du Premier ministre ne sera pas annoncé ce mercredi soir."

Finalement, ça y est, plus de 50 jours après le résultat des élections législatives, et après avoir cyniquement jeté des noms à la presse comme on lance un os à une meute de chiens affamés, Emmanuel Macron a daigné nommer un Premier ministre. Il s'agit de Michel Barnier, 73 ans, ancien ministre et commissaire européen, plus connu des médias britanniques que des nôtres puisqu'il s'y est illustré ces dernières années en tant que négociateur du Brexit et y a conservé le surnom de "briseur du Brexit".

Dès que son nom a fait irruption dans le tourbillon médiatique - ou le "quinté+ des candidats", comme le qualifiait un journaliste dans notre analyse du "journalisme d'accompagnement" du coup présidentiel - Michel Barnier a fait l'objet de questionnements journalistiques multiples. Mais pas pour interroger sa légitimité dans la situation politique actuelle, en se demandant par exemple "pourquoi le président nommerait-il cet ancien du RPR qui a voté contre la dépénalisation de l'homosexualité en 1981, alors que la gauche est arrivée en tête du scrutin législatif ?" Non : l'important, c'était de savoir s'il serait validé par l'extrême droite, en tout cas dans Liberté Egalité Brunet, la nouvelle émission de BFM, qui a consacré pas moins de 10 minutes à la question : "Barnier est-il RN-compatible ?" La réponse est dans la question : "On sent qu'il a, je ne dirais pas le soutien, mais l'agrément bienveillant, du gros groupe du Rassemblement national ?", dit Éric Brunet à... un député RN invité en plateau, qui n'a plus rien à faire d'autre que d'acquiescer et dérouler son discours.

Ce "journalisme d'accompagnement", qui n'a pas bronché, ou à peine, quand le président de la République a choisi au nom de la "stabilité institutionnelle" de piétiner lesdites institutions en ne nommant pas la candidate du bloc arrivé en tête des législatives, est ici illustré de façon frappante. Pourquoi questionner les décisions du président, quand on peut louer le choix "RN-compatible" d'un "négociateur" (le Parisien) et d'un "homme de consensus" (le Monde) ? Il n'y a guère que quelques journaux pour souligner l'impasse politique dans laquelle Macron s'est lui-même enfermé. "Barnier : approuvé par Marine Le Pen", clame Libération ce matin, tandis que le Nouvel Obs ose qualifier le président de "mauvais perdant", qui préfère les compromis avec l'extrême droite que la cohabitation avec la gauche.

Mais de toute façon, il n'avait pas le choix : si Macron en est arrivé là, c'est la faute à la gauche, il ne fallait pas refuser l'option Bernard Cazeneuve, nous disent en chœur les grands médias. "En promettant de censurer à coup presque sûr Bernard Cazeneuve, une petite majorité de socialistes a donné une occasion inespérée à Emmanuel Macron d’éviter que la réforme des retraites soit remise en cause, que le salaire minimum soit augmenté et que les plus riches soient plus taxés", écrit Thomas Legrand dansLibération. "Le PS a donné la possibilité au Président de ne pas tenir compte des résultats électoraux et de garder ses réformes (retraites, indemnités chômages) en sécurité." Patrick Cohen renchérit, dans son édito politique sur Inter : "Le refus du PS de soutenir Bernard Cazeneuve, le véto du RN sur Xavier Bertrand, ne laissaient au président que peu de choix."

Peu importe que l'on apprenne, dans une enquête du Parisien, que c'est en fait le conseiller élyséen Alexis Kohler, surnommé "l'hyperprésident" tant il influence le chef de l'État, qui a imposé le nom de Michel Barnier, nom qu'il avait en tête dès le mois de juillet, bien avant le battage médiatique autour des fameuses "consultations". Blâmer la gauche, c'est toujours plus simple que regarder en face sa propre incapacité journalistique à remettre le pouvoir en question.

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