La défense médiatique (et effarante) des accusés de Mazan
Pauline Bock - - Déontologie - Sur le gril - 59 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
"Viols de Mazan : Un co-accusé s'explique", annonce le bandeau de BFMTV. Le 19 septembre, alors que viennent de s'ouvrir, au procès, les auditions des 50 hommes accusés d'avoir violé Gisèle Pélicot alors qu'elle était inconsciente car droguée par son mari, la chaîne d'info en continu donne la parole à l'un d'eux. Il "a accepté – en marge du procès – de se confier à nos envoyés spéciaux", précise l'article en ligne.
Pour introduire son témoignage, BFMTV nous dit tout d'abord que "chaque jour, lui et les autres accusés passent devant cette haie du déshonneur", où des femmes "les filment". Puis que cet accusé, qui comparaît pour "viol avec circonstances aggravantes", est "père de famille". Même si lui reconnaît qu'il est un violeur : "J'ai reconnu que oui, c'est un viol, parce que j'ai pris conscience que j'ai pas eu le consentement [de Gisèle Pélicot]." Cet homme explique s'être trouvé sur le site où Dominique Pélicot recrutait des hommes pour violer sa femme car la sienne "a un certain âge, pas spécialement de libido", et qu'il voulait "parler sexe et se distraire". Tous les hommes dont la partenaire n'a pas de libido ne vont pourtant pas violer une autre femme. BFM indique qu'il "minimise son rôle et reporte la faute sur le mari de Gisèle Pélicot". Et titre sur sa défense : "C'est lui qui est venu me chercher". Mais pourquoi avoir choisi de le faire "se confier en marge du procès" ? Pourquoi commencer par rappeler que "ce père de famille" doit chaque jour "passer devant une haie du déshonneur" ?
Sur RTL, même procédé, autre accusé : cette fois, c'est à "un homme de 55 ans, infirmier libéral", "sans casier judiciaire", qui est "aujourd'hui passible de 20 ans de réclusion", qu'on donne la parole pour qu'il "s'explique" et "donne sa version des faits". Même minimisation ("L'accusé explique avoir été contacté sur un site du darkweb par Dominique Pélicot, qui lui aurait proposé un «scénario sexuel» où sa femme ferait «semblant de dormir»"), même tentative de victimisation ("Cette affaire dépasse ma personne. Je ne suis pas un écervelé ou un voyou, je suis un bon citoyen" ou encore "Avec Dominique Pélicot, j'étais dans une situation de survie, de danger extrême. Son regard, son attitude m'ont effrayé"). RTL nous informe encore qu'il a été "évincé de son cabinet médical" et qu'il est désormais "privé de ressources et en difficulté familiale". Il a peur de la prison, dit-il à la radio, un "enfer" où il a passé 10 mois avant le procès.
Les 50 accusés ont tous été filmés et reconnus par la police sur les vidéos. Il y a la preuve de la matérialité des faits. Que l'immense majorité d'entre eux aient choisi de plaider avoir été manipulés par Dominique Pélicot, c'est leur droit. Mais que les médias jouent le jeu, en leur donnant directement la parole en plein procès - parfois même, comme l'accusé de RTL, alors que celui-ci "attend d'être fixé sur le jour de son passage à la barre du tribunal" -, en s'apitoyant sur leur sort comme si ce "père de famille" devant sa "haie du déshonneur" et cet infirmier "privé de ressources et en difficulté familiale" ne faisaient pas face aux conséquences de leurs actes (filmés), c'est un affront supplémentaire à la victime et à toutes les autres.
Il n'y a pas de "monstre" violeur mais des monsieur-tout-le-monde, tous susceptibles de violer : c'est ce que semblait avoir difficilement appris la presse face à cette affaire. Il s'agirait de ne pas le désapprendre aujourd'hui, alors que les monsieur-tout-le-monde pointent en chœur, médiatiquement, le doigt vers le grand méchant monstre.