Hommage à Manouchian : France 2 tend le micro... à Marine Le Pen
Pauline Bock - - Scandales à retardement - Sur le gril - 40 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
"Madame Le Pen, la cérémonie d'aujourd'hui, d'une certaine manière, c'est une façon de dire : Aux étrangers, la France reconnaissante. Est-ce que vous validez ce message ?" La question est posée par France 2 à la députée du Rassemblement national au sein du Panthéon. La nuit tombe sur Paris ce 21 février 2024 et la cérémonie d'hommage à Missak et Mélinée Manouchian, résistants, communistes, étrangers venus d'Arménie pour s'établir en France et la défendre au sein des FTP-MOI, va débuter.
"Vous savez, répond Le Pen à France 2, j'ai évidemment quelques liens familiaux avec la Légion étrangère, donc que des étrangers soient venus tout au long de notre histoire se battre pour défendre notre pays est une évidence. Au travers de la personnalité de monsieur Manouchian, c'est aussi toute la Résistance à qui est rendu hommage aujourd'hui." La journaliste qui tend le micro de France 2 souligne : "Uniquement des étrangers." Mais ça n'a pas d'importance pour Marine Le Pen, qui poursuit : "Vous savez, je crois que ce qui est spécifique à la Résistance est que précisément on ne regardait pas la nationalité, on ne regardait pas les idées politiques." Ah bon. Il nous semblait tout de même qu'en tant que communiste et résistant, Missak Manouchian aurait "regardé les idées politiques" de Marine Le Pen - à qui il arrive de valser à Vienne avec des "ligues étudiantes, viviers de néo-nazis" - avec un dégoût certain.
N'y a-t-il personne à France 2 qui puisse relancer l'ancienne cheffe du RN, peut-être en lui rappelant que son parti a été fondé par un ancien des Waffen-SS ? Ou en lui demandant quel est le rapport avec "ses liens familiaux avec la Légion étrangère", liens qui mériteraient un peu de contexte ? Personne ne semble y avoir pensé, alors l'historien Fabrice Riceputi a tweeté une "mise au point" après les propos de Marine Le Pen, dans laquelle il rappelle "l'engagement de son père [Jean-Marie Le Pen] en Indochine, puis en Algérie, dans le 1er Régiment Etranger Parachutiste, au sein duquel il pratiqua la torture". La voici en intégralité ; la liste méritant d'être lue au complet :
Libérationa dénoncé ces "propos obscènes" de Marine Le Pen dès le lendemain : "Comme si la moindre ébauche de parallèle pouvait être tracée entre le résistant Manouchian et Jean-Marie Le Pen, député d’un mouvement poujadiste suintant l’antisémitisme, engagé dans la Légion étrangère entre 1953 et 1957, à l’époque où celle-ci était farcie d’anciens nazis recyclés dans la défense des colonies."
Pour de nombreux·ses internautes, cette interview de Marine Le Pen, la seule personnalité politique à qui le service public a tendu le micro sur place lors de la cérémonie, est une honte. "Honte à vous, France 2, a écrit la chercheuse au CNRS spécialisée dans l'étude des médias Claire Sécail. Une seule interview. La plus indigne qui soit. Journalistiquement consternante et moralement déshonorante."
D'autant plus qu'elle intervient alors que le dernier survivant des camarades résistants de Manouchian, Léon Landini, 98 ans, confirmait cette semaine à Blastqu'il a bien été éloigné de la cérémonie de panthéonisation de son ami. "Il n'y a qu'à chercher si, des RN, il y en a eu, dans la Résistance, a-t-il dit à Blast. C'est une honte, moi je les ai combattus ! Mes camarades sont morts en combattant leurs grands-parents à eux." On aurait aimé entendre ses mots, justes, forts, et tellement nécessaires ces temps-ci, sur une chaîne publique nationale. Comme France 2, par exemple.