Groupe Bayard : Sans peur, sans reproche, sans extrême droite

Pauline Bock - - Sur le gril - 30 commentaires

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On l'a appris cette semaine : Alban du Rostu, l'ex-bras droit du milliardaire Pierre-Edouard Stérin, devient le numéro 2 du groupe Bayard Presse.

Ces noms ne vous disent peut-être encore rien, mais ils risquent fort de devenir sous peu aussi connus que celui de Vincent Bolloré. Et pour cause : Pierre-Edouard Stérin, qui a fait fortune avec sa Smartbox et a failli récemment racheter le magazine Marianneavant que la rédaction ne s'y oppose farouchement, a un plan. Un plan qu'il a nommé "Périclès", et dont le détail était révélé cet été par l'Humanité : il veut installer le RN au pouvoir, et s'en donne les moyens.

Extrait du document de travail publié par l'Humanité : "Notre projet découle d'un ensemble de valeurs clés (liberté, enracinement et identité, anthropologie chrétienne, etc.) luttant contre les maux principaux de notre pays (socialisme, wokisme, islamisme, immigration). Pour servir et sauver la France, nous voulons permettre la victoire idéologique, électorale et politique. Pour cela, Périclès prévoit de déployer environ 150 millions d'euros sur les dix prochaines années via le financement ou la création de projets." L'acronyme du projet, Périclès, signifie, selon ce même document, "Patriotes / Enracinés / Résistants / Identitaires / Chrétiens / Libéraux / Européens / Souverainistes". Beaucoup de mots pour dire "extrême droite". Alban du Rostu, nouveau numéro 2 de Bayard Presse, donc, est listé comme l'un des trois "fondateurs et administrateurs" de ce projet Périclès.

Dans le groupe Bayard, qui possède le journal La Croix et l'hebdomadaire le Pèlerin, mais aussi les magazines jeunesse J'aime Lire, Pomme d'Api ou encore Astrapi, les salarié·es sont resté·es abasourdi·es par cette "OPA gratuite en cours" (comme la décrivait une source de l'Humanité) en apprenant, lundi, l'arrivée de du Rostu. Et ont aussitôt voté la grève (dont la date reste à confirmer) pour exprimer leur "rejet viscéral" de son embauche et de ce qui ressemble fort à des "signes annonciateurs d’un virage vers la droite extrême". Les valeurs de Bayard Presse et de son titre-phare, la Croix, n'ont en effet rien en commun avec Stérin et consorts : le journal favorise le dialogue inter-religieux, couvre avec sérieux la crise climatique, prône l'accueil des migrants et s'interroge même sur son propre passé éditorial. "Dans un quotidien comme La Croix, on défend l’humanisme, le consensus, la nuance, et ces gens, ils veulent nous entraîner dans une forme de guerre", expliquait un salarié de Bayard à L'Humanité. "Et ça, quoi qu’ils décident, ça ne pourra pas passer pour la majorité d'entre nous."

Difficile en effet de croire qu'Alban du Rostu, listé pas plus tard que cet été comme l'un des acteurs majeurs de ce "projet Périclès", est devenu un catho de gauche qui veut simplement le meilleur pour le journal la Croix. Même s'il le maintient : il ne "fait pas partie de ce projet-là", a-t-il dit à l'AFP, en promettant qu'il n'aurait "aucun rôle éditorial ou managérial dans les journaux" de Bayard.

"Bayard reste Bayard", ont promis eux aussi, dans un communiqué publié dans la Croix, le président et le directeur général du groupe, François Morinière et Dominique Greiner. "Des projets récents ont créé des incompréhensions au sein des équipes de Bayard : crainte de voir les lignes éditoriales modifiées, soupçon d’un possible entrisme de l’extrême droite… Les réseaux sociaux amplifient à une vitesse sidérante les états d’âme, les inquiétudes, les soupçons, etc., au risque des « fake news », voire des chasses aux sorcières", ont-ils écrit, en précisant "comprendre l'inquiétude des équipes", "parce qu'elle touche au cœur de ce que nous sommes". Mais François Morinière est arrivé au poste de président début novembre. Cette décision de l'embauche de du Rostu est l'une des premières qu'il prend. Une autre a également beaucoup choqué : Bayard s'associe à Bernard Arnault et à Vincent Bolloré pour investir dans l'école de journalisme ESJ Paris.

Ni
les assurances d'Alban du Rostu, ni celles du nouveau président de Bayard, n'ont rassuré les équipes. À raison, sans doute. "On ne vendra pas Europe 1", assurait Arnaud Lagardère en 2019. La suite, on la connaît, à Europe 1 comme à iTélé et au JDD. Mais Stérin n'est pas Bolloré : Marianne l'a fait reculer. Bayard le peut aussi. Sans peur, sans reproche, et sans extrême droite.


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