François Bayrou Premier ministre : une matinée de vacuité journalistique

Alizée Vincent - - Sur le gril - 30 commentaires

Commentaires sur l'installation d'un tapis rouge ou sur la hauteur des micros installés dans la cour de l'Élysée, images en boucle des rues adjacentes du palais, vides, et suppositions dans tous les sens : récit d'une matinée de haute-volée journalistique.

Hier encore, vendredi 13 décembre, les télévisions ont fait trembler la République. L'actualité de la matinée était la réunion de François Bayrou avec Emmanuel Macron. En ce jour d'annonce promise de nouveau premier ministre, le rendez-vous a comme un parfum de promesse. Alors, la journée se passe dans les rues adjacentes de l'Élysée, face caméra, pour les journalistiques politiques. Et la "priorité au direct" consiste à scruter l'agenda du président et faire des suppositions.

"CONSULTATIONS : BAYROU REÇU PAR MACRON À 8H30", voit-on en bandeau sur BFMTV à 8 heures. L'alerte info est tombée à 7H54. Les deux hommes "se sont déjà entretenus par téléphone dans la soirée de jeudi", précise la chaîne. À 8H28, LCI met en scène la traditionnelle poursuite avec la voiture de l'homme d'intérêt du moment8h35, le président du MoDem "vient d'arriver à l'Élysée". Sur les matinales, on s'emballe. Comme dans les Informés du matin de France info, à 9h16. "Les choses semblent se préciser", "la fumée blanche approche", "on n'a jamais été aussi proche de Noël mais aussi de la nomination d'un nouveau premier ministre à Matignon", enchaînent les présentateurs. "La nomination de François Bayrou semble envisageable, envisagée, même si on ne sait pas encore ce qu'Emmanuel Macron est en train de lui dire". Nous voilà bien avancé·es. 

Sera-t-il nommé ou pas ? "Les deux options sont possibles". "Tout est possible", poursuit une invitée, s'il n'est pas nommé, ce serait une "humiliation"(Victoria Koussa, journaliste politique chez France info). "Si François Bayrou est répudié ce matin, ce sera vraiment de la téléréalité", car "la voiture qui rentre dans la cour, la mise en scène de l'arrivée de Bayrou, ça rend difficile son rejet, mais on a tout vu", prophétise un autre (Sylvain Courage, directeur adjoint du Nouvel Obs). 

C'est que les médias sont très sensibles aux petits détails. À 10h25, LCI s'attarde sur une voiture à l'arrêt. Un homme en costume tient la porte. Longuement. Puis, saute dedans. On voit la voiture clignoter puis tourner. On ne sait pas ce qu'elle fait. "URGENT : ENTRETIEN F. BAYROU / E. MACRON TERMINÉ", annonce l'écran. Il est 10h25. L'information suivante, un quart d'heure plus tard, est l'installation d'un tapis rouge. Puis des micros. "MATIGNON : MICROS INSTALLÉS POUR LA PASSATION". À l'écran, on voit des sapins de Noël dans la cour. Certain·es journalistes débattent de la hauteur de micros, comme pour en déduire un profil (un·e premier·e ministre plus petit·e ou plus grand·e qu'Emmanuel Macron). La République tremble vraiment.

On ne croit pas si bien dire. "Emmanuel Macron a appelé François Bayrou à 5h ce matin pour lui annoncer que ce sera Roland Lescure, et François Bayrou est entré dans une colère noire", annonce Guillaume Tabard sur BFMTV. Le doute continue. 11h33. Le rendez-vous entre le président et François Bayrou, "soit ça s'est très bien passé, soit ça s'est très mal passé", déclare un journaliste en duplex sur BFMTV. L'information du "tapis rouge" installé dans la cour est à l'écran depuis quasiment une heure sur LCI. CNews est encore plus précis."Nomination du premier ministre : on attend encore..."se plaint la chaîne d'extrême droite, en bandeau, dans le Morandini Live"Ça ne se serait pas bien passé avec Bayrou", entend-t-on encore sur BFMTV à 11H43. L'annonce suivante, vue dans presque tous les médias est encore de haute volée : houra, on devrait avoir le nom avant 12H45 ! 

C'est là que les médias de presse écrite s'y mettent aussi. Comme l'a retracé Robin Andraca pour Arrêt sur images, le Monde nous emmêle les pinceaux, en publiant deux alertes pushs, à quelques minutes d'intervalles. La première annonce que l'échange entre Bayrou et Macron fut "tendu" et que le président a annoncé à son ami centriste qu'"il ne serait pas nommé premier ministre". La seconde annonce the news : "François Bayrou nommé premier ministre". Si les deux informations sont factuellement justes - comme s'en est expliqué le quotidien - leur formulation dépite une partie du lectorat, perdu dans le magma informationnel servi depuis le début de la journée.

Le quotidien du soir n'est pas le seul à contribuer à ce brouillard : plusieurs internautes reprochent aussi à France info ses annonces aux apparences contradictoires. Peu importe, la fumée blanche est sortie. La journée continue, avec ses hordes de reporters dans les rues du 8e arrondissement de Paris, pour obtenir les premières citations du nouveau chef du gouvernement. Certains journalistes commencent à rappeler ses frasques. Sa gifle à un enfant de 11 ans, son projet de collaboration avec Bolloré pour vendre des films sur clef USB, l'affaire des assistants parlementaires, évidemment... 

Et tout ça avant 14h. En attendant la passation de pouvoir, prévue en fin de journée.

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