Cycliste tué : selon Sonia Mabrouk, les vélos abusent
Pauline Bock - - Déontologie - Sur le gril - 74 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
Paul Varry avait 27 ans, il venait de Saint-Ouen, et militait pour les droits des cyclistes, dont il était, à l'association Paris en selle. Il est mort mardi après avoir été renversé volontairement par une voiture, sur le boulevard Malesherbes à Paris, qui lui avait barré la route en lui refusant la priorité. Pour avoir tapé sur le capot de la voiture en signe de colère, Paul Varry est mort. L'automobiliste, hors de lui, l'a sciemment percuté et écrasé.
Le suspect, qui a été placé en garde à vue et vient d'être mis en examen pour meurtre, accuse sa victime de "l'avoir terrorisé". Pardon ? Qui terrorise qui, exactement, lorsqu'un chauffard tue un cycliste ? Qui est considéré comme usager vulnérable selon le code de la route ?
Ce suspect, dont leParisien trouve utile de préciser qu'il est "père de famille", comme si ça le dédouanait de quoi que ce soit, nous est décrit comme "la caricature du chauffard parisien" : "Pressé, énervé, pestant contre les embouteillages et la maire de Paris Anne Hidalgo, multipliant les infractions pour gratter quelques secondes et foncièrement remonté contre tous ces cyclistes qui « font un peu n’importe quoi sur la route »." C'est sa version à lui, mais elle est reprise presque sans guillemets, rendant bien trop léger le qualificatif du journal, qui juge cette version "catastrophique". La caricature du chauffard parisien : tout à fait. Mais c'est la caricature, aussi, de la masculinité toxique, celle qui ne contrôle pas ses émotions, celle qui tabasse et qui tue, les femmes et les minorités comme les cyclistes. Mais cet aspect-là, la presse ne s'y intéresse pas.
Et pendant que les médias s'évertuent, encore et toujours, à ne pas voir que cette violence, dans sa colossale majorité, c'est encore et toujours celle des hommes, sur la télé Bolloré et dans la presse d'extrême droite, le sujet qui s'est imposé, à la mort terrible et absurde de Paul, c'est celui du "dialogue impossible" entre voitures et cyclistes. Comme si vélo et un SUV étaient à armes égales.
Sur CNews, là où un suspect pour meurtre sous OQTF devient un symbole des "dangers de l'immigration", ici, pas d'enjeu politique, pas d'analyse sociétale de la mort de Paul. Chez Bolloré, il n'y a rien à gagner politiquement à questionner la toute-puissante bagnole. Le 17 octobre vers 12h30, Sonia Mabrouk parle d'un "différent sur la route" et de la "cohabitation" entre conducteur·ices et cyclistes, "rendue impossible par la maire de Paris". Dans le doute, c'est bien connu : hurlez que c'est la faute d'Anne Hidalgo, qui "voulait une capitale mondiale du vélo". "Et vous savez comment c'est appelé : la «mobilité douce», pour des comportements beaucoup moins doux, parfois même barbares..." ose Sonia Mabrouk.
Regardez CNews ce 17 octobre sans contexte, et vous éteindrez la télé persuadé·e qu'un cycliste a tué un automobiliste, et non l'inverse. Sur le plateau de Sonia Mabrouk, personne pour s'indigner de la mort de Paul. Selon un syndicaliste policier (qui n'a aucune expertise spécifique en circulation urbaine mais qui a son rond de serviette sur CNews), "les gens pètent des câbles" - mais attention, les gens, ce ne sont pas ceux qui risquent de se faire écraser par un SUV. Les "vélos" - on ne parle pas de "cyclistes" ici - sont-ils seulement des gens ? Ceux qu'on plaint sur CNews, ceux avec qui l'on s'identifie, ce sont ceux derrière un volant, dont on excuse volontiers le comportement puisqu'après tout, c'est la "cacophonie totale" : "Il y a des trottinettes qui vous passent devant, des vélos, vous êtes toujours tendu..."
Bref : en démocratie, il faut partager l'espace public avec d'autres personnes, et ça, pour les médias Bolloré, c'est inacceptable. Plutôt justifier la violence et déshumaniser ceux et celles qui en sont victimes. Paul est mort, et CNews est à deux doigts d'applaudir l'homme mis en examen pour son meurtre.