Attaque terroriste en Australie : CNews en duplex depuis Paris

Pauline Bock - - Déontologie - Sur le gril - 11 commentaires

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Le 14 décembre, sur la plage de Bondi Beach à Sydney, en Australie, quinze personnes ont été tuées dans un attentat terroriste qui prenait clairement pour cible la communauté juive, réunie sur la plage pour célébrer Hannukah. Un père et son fils ont ouvert le feu sur les participant·es à cette fête juive, tuant 15 personnes et en blessant 42. Une attaque terroriste - l'une des pires de l'histoire australienne - à claire visée antisémite.

Selon le Parisien, "les actes antisémites se sont multipliés depuis le 7 octobre 2023" en Australie, et la communauté juive du pays dénonce même une "explosion" de leur nombre : "La première année [après le 7-Octobre], ils ont augmenté de 316 %", écrit le Parisien, qui ajoute : "Début décembre, le Conseil exécutif des juifs d'Australie (ECAJ), qui représente plus de 200 organisations juives, soit environ 120 000 personnes, avait publié ses derniers chiffres alarmants : d'octobre 2024 à septembre 2025, l’organisation a répertorié plus de 1 600 actes antisémites, cinq fois plus qu'avant 2023." Pour le journal suisse Le Temps, "cette tendance est globale mais elle n'est nulle part ailleurs plus préoccupante qu'en Australie".

Il y avait donc des angles politiques et sociaux spécifiques à l'Australie à couvrir médiatiquement. Le Monde a par exemple donné la parole à l'historien Romain Fathi, pour qui l'Australie est un pays "relativement épargné par le terrorisme", et dans lequel un attentat d'une telle horreur "suscite d'autant plus d'émoi qu'il constitue un événement isolé". Mais les médias Bolloré ne font pas dans l'analyse socio-politique de pays étrangers, sinon ça se saurait. Europe 1, en particulier, s'est rapidement focalisée dès le lendemain du drame sur un sujet bien plus crucial aux yeux de son actionnaire : blâmer la gauche française pour un attentat terroriste survenu à l'autre bout du monde.

Dans l'émission de Pascal Praud sur Europe 1, le 15 décembre, le drame de Bondi Beach semble être directement la responsabilité de la gauche française - la France insoumise, mais aussi les écologistes, et, plus généralement, tout·e citoyen·ne critique de l'action d'Israël à Gaza. "La haine de l'Etat juif et la haine des Juifs, ça marche ensemble !" déclare Elisabeth Lévy. Praud, qui dans ce genre de figure périlleuse peut parfois jouer le rôle de la voix de la raison, décide au contraire de renchérir : "Vous avez parfaitement raison, la haine de l'État juif et la haine des Juifs, ça marche ensemble." Gérard Carreyrou abonde en considérant que "c'est une guerre de civilisation internationale, et tous ceux qui sont mous contribuent à l'affaiblissement". En réalité, les éditorialistes ne sont pas là pour débattre de l'attentat antisémite de Bondi Beach, ni de la montée de l'antisémitisme en Australie, en France, ou ailleurs. Ils sont invités pour réagir à "ce qu'a dit Manon Aubry, ce qu'a dit Rima Hassan, tout ce terreau qui, disons-le, favorise l'antisémitisme en France", selon les mots de Pascal Praud. Ce "terreau", ce 15 décembre, cela semble être le fait que Rima Hassan se soit vantée d'avoir répondu, à un soldat israélien qui lui promettait pendant sa détention de "l'interdire d'entrer sur le territoire pendant cent ans", qu'"Israël n'existera plus pendant cent ans"

Le lien entre cette opinion - débattable - de Rima Hassan et l'attentat antisémite de Bondi Beach est tout trouvé pour le plateau d'Europe 1. Rima Hassan a dit quelque chose ; Manon Aubry, sa collègue élue LFI, n'a pas souhaité commenter ("Manon Aubry a une forme d'ambiguité, puisqu'elle ne condamne pas ce que dit Rima Hassan", résume Praud) ; et à 20 000 kilomètres de là, presque en même temps, un attentat antisémite a fait quinze victimes. Le lien est absolument évident ! Mais la chaîne de responsabilités selon Europe 1 ne s'arrête pas là. Richard Millet déclare : "Les pays qui boycottent Israël à l'Eurovision sont complices de ce qui se passe !" Et Praud répond : "De la même manière ceux qui sont entrés récemment à la Philharmonique [sic] !", en référence à la perturbation de l'orchestre d'Israël à Paris par des manifestants pro-palestiniens. Millet acquiesce : "C'est la cinquième colonne du djihadisme !" Allô l'Arcom ?

Le lendemain, le 16 novembre, sur Franceinfo, le coordinateur de la France insoumise Manuel Bompard a été invité à commenter les déclarations d'Aurore Bergé qui, après l'attentat de Bondi Beach, a estimé que "ceux qui, depuis le 7-Octobre, ont déversé une espèce de haine obsessionnelle d'Israël, sont en partie responsables de ce qui se passe". Et qu'"il n'y a pas un Français juif aujourd'hui qui n'a pas peur de la menace que représente la France insoumise". Bompard a répondu qu'après "un drame absolu" comme celui de Bondi Beach, il est "abject" et "absolument indigne" d'instrumentaliser cet attentat. "Vous avez tardé à condamner les attentats du 7-Octobre", insistent les journalistes, Paul Larrouturou et Agathe Lambret. "Si, vous avez tardé !" Bompard assure que c'est faux. "J'aimerais qu'on sorte la lutte contre le racisme et l'antisémitisme des enjeux politiciens et qu'on s'attaque sérieusement à cette question", ajoute-t-il.

Mais pour les éditorialistes de CNews comme pour les intervieweurs de franceinfo, "s'attaquer sérieusement à la question", cela voudrait dire questionner l'absence de détermination politique du gouvernement dans la lutte contre l'antisémitisme et du racisme sur le terrain. Ce qui est tout de même bien plus compliqué que de blâmer la gauche.

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