Apolline de Malherbe, l'investigation à géométrie variable
Pauline Bock - - Déontologie - Sur le gril - 27 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
Saviez-vous qu'Apolline de Malherbe était journaliste d'investigation ? Le virus de l'investigation, c'est comme ça : ça vous entraîne et ça ne vous lâche plus. Comme ce 29 février, dans son émission Face-à-Face, sur BFMTV et RMC, lorsqu'elle recevait Dominique de Villepin.
Celui-ci déclare qu'il observe un "deux poids, deux mesures" sur la situation géopolitique en Ukraine et à Gaza. Puisque d'un côté, la France défend le droit international en Ukraine, dit-il, elle devrait également le défendre à Gaza : "Il y a une question de justice à rendre au peuple palestinien", dit-il, et la France doit être "leader" sur ce sujet, selon lui. L'intervieweuse de BFMTV change alors complètement de sujet et lance à l'ancien Premier ministre : "Dominique de Villepin, je voudrais savoir aussi qui parle, et qui j'ai devant moi. Vous n'êtes plus diplomate, j'aimerais savoir comment vous gagnez votre vie ?" Lui répond sans sourciller qu'il est désormais "conseiller en affaires internationales" et lui retourne la question : "À qui appartient votre chaîne ? Est-ce qu'il y a des pressions, des directives, sur le plan politique, diplomatique ?"
Elle insiste : "Alors, qui vous paie ?" "Personne", dit-il. Réponse : "Personne ne vous paie ? Mais vous avez une société, vous faites du business, des missions de conseil. Je voudrais en toute transparence savoir qui vous paie." Il finit par lancer : "J'ai une société qui a des activités de conseil et par définition, vous ne donnez pas le nom de vos clients."
Apolline de Malherbe, elle, ne lâche rien : "Que monnayez-vous ? Qu'est-ce que vous vendez ? Quels conseils ?" De Villepin répond qu'il"donne des conseils géopolitiques sur l'évolution du monde" et que sa parole "ne contient aucun élément ni d'influence, ni de conflit d'intérêt". Mais Apolline de Malherbe s'interroge : "J'aimerais savoir, est-ce que je fais partie de votre business plan ? Le fait de parler à ce micro, d'influencer les opinions d'une façon ou d'une autre, fait partie de ce que vous vendez ?" Elle lui rappelle - à raison - que le Monde a récemment révélé que sa société, Villepin International, préfère payer une amende plutôt que de publier ses comptes. "Quel business plan, aujourd'hui, de défendre ceux qui meurent à Gaza ?", s'agace de Villepin, qui estime que "personne n'est dupe" : "Votre seul but est de gagner du temps d'antenne pour m'empêcher de dire mon message."
Elle ne lâche rien, Apolline de Malherbe ! Elle est même passée un peu plus tard le même jour sur BFM Le Live pour expliquer pourquoi l'esprit du journalisme d'investigation l'avait ainsi possédée : "Le magazine M Le Monde a consacré un long article à l'opacité de ses comptes, expliquait-elle. Au fond, je ne fais que demander de la transparence. Il monnaie un produit, qui s'appelle de l'influence." Quelle abnégation. Franchement, waouh !
Les conflits d'intérêts, la transparence, les enjeux d'influence d'une prise de parole médiatique, ce sont des questions qui habitent chaque jour Apolline de Malherbe, intervieweuse d'investigation de BFMTV. La veille, elle accueillait dans Face-à-face le député et secrétaire national du PCF, Fabien Roussel. Lui qui est soupçonné par la justice d'emploi fictif comme le révélait Mediapart - un soupçon étendu en septembre dernier à d'autres élus communistes - il a dû passer un sale quart d'heure !
Bon, en fait, non : elle a sans doute manqué de temps car il fallait d'abord le questionner sur "la grande délinquance" ou les frontières qui "sont des passoires". Mais la volonté y était sûrement ! Le 27 février, dommage, pas le temps non plus de cuisiner Robert Ménard sur le conflit d'intérêt de la mairie de Béziers avec un gros promoteur immobilier... Le 26, difficile de coincer Céline Imart, la numéro 2 de LR pour les élections européennes, connue pour être une "pourfendeuse du bio" et pour ses positions pro-OGM : il fallait la laisser disserter sur "les éco-terroristes qui ont saccagé nos terres" dans le Tarn. Pas de chance non plus le 25, face à Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA : en bonne journaliste d'investigation, Apolline de Malherbe avait forcément repéré son conflit d'intérêt, puisqu'il est aussi président du conseil d'administration du groupe Avril, géant de l'agroalimentaire. Elle s'est forcément demandé "qui parle", qui elle avait devant elle : le président de la FNSEA, ou l'agro-industriel ? Le 2 février, elle lançait justement à Arnaud Rousseau : "Vous les négociez où, vous, les prix des huiles Lesieur ?"
Sous-entendu, avec quelle casquette, celle de l'agro-industriel ou de la FNSEA ?
Malheureusement, là encore, le 25 février, l'intervieweuse-d'investigation a dû manquer de temps pour poser ses questions coup-de-poing. Mais peut-être que l'esprit du journalisme d'investigation ne prend possession d'Apolline de Malherbe que de temps en temps ? Par exemple, juste chaque année bissextile, le 29 février ? Ou alors, mais ce serait vraiment bizarre, juste face à Dominique de Villepin ?