Ahoo Daryaei : la lutte des femmes iraniennes mérite mieux que ces dessins
Pauline Bock - - Sur le gril - 84 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
Elle s'appelle Ahoo Daryaei, elle a 30 ans et étudiait la littérature française à la prestigieuse université islamique Azad de Téhéran, en Iran.
Samedi dernier, après avoir été harcelée par des agents de sécurité de l'université à propos de son foulard, elle a retiré ses vêtements en partie déchirés lors de l'altercation, et s'est assise, en sous-vêtements, sur le perron de l'université. Puis, en signe de protestation contre le code vestimentaire islamique très strict de l'établissement, elle a marché lentement sur le campus. La vidéo de son action a fait le tour du monde. Sur une autre, moins virale, on la voit être arrêtée par des agents de sécurité ; selon des témoins de la scène, elle aurait été "sévèrement battue" et aurait reçu "de graves blessures à la tête". L'ambassade d'Iran à Paris a depuis annoncé qu'elle avait été "transférée à un centre de soins spécialisés". "Une tactique souvent utilisée par le régime de la République islamique pour saper les actes de résistance des Iraniennes, en les plaçant dans des hôpitaux psychiatriques pour discréditer leurs protestations", précise Libération.
Nombre de dessinateur·ices, sur les réseaux et dans la presse, ont rendu hommage au courage d'Ahoo Daryaei. Mais l'ont, en immense majorité, fait de la même façon : en la représentant seule debout, face à une vague menaçante de femmes voilées. Ces dernières sont tour à tour représentées comme des ombres noires au regard malveillant, avec des nez crochus dignes de caricatures racistes, comme une armée de goules aux grands yeux noirs et vides.
Ou, dans le cas de Plantu, carrément sans visage, remplacés par des poings fermés saluant l'ayatollah Khamenei, le guide suprême de la Révolution islamique en Iran. Tous ces dessins de presse déshumanisent les femmes iraniennes voilées - dont Ahoo Daryaei était, jusqu'à son acte de rébellion, puisque le voile est obligatoire pour les femmes en Iran. Elles ne sont montrées qu'en terme de masse antagoniste et informe, face à la "bonne" femme, celle qui refuse le voile.
Pourquoi opposer entre elles les victimes d'un même système, d'une même violence ? Pourquoi ne pas dénoncer les vrais oppresseurs des femmes iraniennes : les hommes, et, en premier lieu, les Gardiens de la Révolution ? (Plantu l'a fait, certes - mais en déshumanisant les femmes voilées à l'extrême, comme si elles n'avaient aucune volonté propre.) Les femmes iraniennes sont toutes sous le joug de la même loi, qu'elles se rebellent et soient punies, comme Ahoo Daryaei. Ou qu'elles subissent en silence.
"En Iran, il existe des femmes voilées qui luttent contre le voile obligatoire", a justement rappelé les Lettres de Téhéran, un compte qui partage l'actualité iranienne sur les réseaux sociaux. "La lutte contre le voile obligatoire n'est pas une lutte contre les femmes voilées." C'est pourtant ainsi que les dessinateur·ices de presse ont choisi de la représenter, se trompant ainsi de cible : "Cette instrumentalisation se fait au prix de l'invisibilisation de leurs souffrances et ne véhicule qu'un seul message à leur encontre : le mépris", ajoute Lettres de Téhéran, qui dénonce une "récupération politique systématique à des fins racistes, réactionnaires et misogynes" de la lutte des Iranien·nes pour la liberté.
Ce ne sont pas des femmes voilées qui sont venues harceler Ahoo Daryaei, ni l'arrêter violemment, ni l'envoyer dans un "centre de soins" pour la discréditer. Ce sont des hommes. Des hommes qui soutiennent et protègent un régime répressif et injuste. Aucun dessin de presse, aucun hommage médiatique qui oublie ceci ne rend justice à sa lutte et au mouvement Femme Vie Liberté.