Notre-Dame : Macron canonisé en direct
Sherlock Com' - - Plateau télé - 70 commentairesTrop mignon, Macron a voulu nous "donner une espérance à l'échelle humaine". A la fois contremaître, charpentier et cordiste (un "en même temps" appliqué à l'artisanat), il nous a expliqué cette semaine comment il avait réussi à mener à bien le chantier de la cathédrale de Notre-Dame : "la clé est de ne jamais laisser de place au doute, d'avoir de bons chefs et agir ensemble". Et aussi de bonnes chaînes de télé pour relayer la com' présidentielle. Car depuis une semaine, on n'assiste pas à la réouverture de Notre-Dame mais bien à la canonisation de Saint Emmanuel, en direct sur France 2 et toutes les chaînes d'info. Une couverture médiatique hors-norme, pour des festivités payées pour un tiers par des fonds publics et par France Télévisions. Autant vous dire qu'on en a eu pour notre argent…
Il est 10h28 sur BFMTV, l'info n'attend pas.
Ce vendredi 29 novembre en milieu de matinée, France 2 et les chaînes d'info sont en direct de Notre-Dame de Paris. Après cinq ans de travaux, on s'apprête à découvrir l'intérieur de la cathédrale rénovée à l'occasion d'une dernière visite de chantier par Emmanuel Macron en personne.
Pour couvrir cet événement, les journalistes de BFMTV ont dû se creuser la tête en conf' de rédac. On imagine la scène : une idée d'angle les gars pour la réouverture de Notre-Dame ? On pourrait faire le point sur la contamination au plomb de tout le quartier, cinq ans après ? Du coût de ses festivités en pleine crise budgétaire ? Des lenteurs de la justice pour désigner les responsables du sinistre ? Bof. Sinon, on fait venir un violoncelliste juste avant l'arrivée de Macron devant la cathédrale ? Allez...
Des images "émouvantes"
Ce vendredi matin, une semaine avant la cérémonie de réouverture de la cathédrale, toutes les télés sont en direct pour découvrir les images de l'intérieur de la cathédrale rénovée. On vous laisse contempler le résultat avec les commentaires si enthousiastes de BFMTV, France 2 et Franceinfo.
Des commentaires émouvants avec des images qui le sont tout autant… Sauf que ce ne sont pas vraiment les bonnes. Voici les vraies images diffusées à l'antenne, pile au moment où ces commentaires ont été prononcées :
Oui, ce vendredi 29 novembre, c'est surtout la visite de Macron que les télés couvrent. On ne visite pas la cathédrale, on suit la visite de Macron qui visite la cathédrale. Un peu comme Martine à la plage, on a pu suivre "Macron dans la nef"
, "Macron à la croisée du transept"
, "Macron face au grand orgue"
. C'était écrit sur les bandeaux de BFMTV.
Et avant de voir, la nef, l'autel, les statues, la fresque, c'est surtout le dos de Macron qu'on aperçoit en premier.
Sur France 2, un point GPS permet même de suivre Macron dans la cathédrale (faudrait pas le perdre de vue).
Ce jour-là, c'est bien Macron le personnage central de cet événement retransmis en direct. Fait assez rarissime : il a un micro-cravate. Les chaînes de télé vont ainsi diffuser de longues minutes de dialogue entre Macron et les différents responsables du chantier de rénovation. Macron dans le texte : "C'est sublime"
, "Elle est beaucoup plus hospitalière avec cette pierre blonde"
, "Vous pouvez être fier"
, "C'est beau"
, "La croix est incroyable"
, "L'autel s'impose mais n'écrase pas".
Sur les plateaux, les éditorialistes peinent à cacher leur admiration face à cette nouvelle cathédrale dont la rénovation doit beaucoup à Macron. N'est-ce pas Anna Cabana ?"C'est une déambulation enchantée dans un moment politique épouvantable"
, "Emmanuel Macron veut montrer
(...) que la France, quand elle est unie, peut réussir des choses qu'on pensait impossible"
, "Il y a là quelque chose de triomphal"
, "Il a été un coach de ce chantier"
, "Son engagement personnel a été énorme"
, "Il rêve de renaître de ses cendres et de pouvoir lui aussi aspirer à retrouver la verticalité perdue."
Pour Laurent Neumann (BFMTV, toujours), "d'une certaine manière aujourd'hui, il inaugure Notre-Dame, il n'en est pas le bâtisseur évidemment, mais il a été à l'origine de cet exploit d'une certaine manière où pendant cinq ans, ce que personne ne croyait, on a réussi à le faire. (...) Cette reconstruction de Notre-Dame restera peut-être comme, je mets les guillemets évidemment, ses grands travaux à lui."
La reconstruction de Notre-Dame ? C'est un "pari gagné"
pour Macron. Ce cap des 5 ans fixé arbitrairement a été si bénéfique à tous, comme l'explique le responsable du mécénat international de Notre-Dame de Paris sur France 2 : "Il n'y a pas de doute
[quand] vous êtes portés par la parole présidentielle, vous y allez hein, il n'y a jamais eu de doute à part chez les commentateurs."
Des commentateurs que Neumann, de BFMTV, fustige aujourd'hui : "pendant cinq ans, on a entendu des grincheux dire :
« On ne va pas y arriver, il se pousse du col, ça ne marchera pas
»"
. Eh bah si. Julian Bugier, sur France 2, n'en revient toujours pas :
"C'est ça qui est prodigieux quand même, on a réussi en cinq ans, non pas à bâtir la cathédrale, mais à reconstruire un édifice qui avait mis quoi ? 150 ans et même un peu plus à être construit."
Mais comment Macron a-t-il réussi cet exploit ? Dans un documentaire intitulé "Notre-Dame résurrection"
et diffusé sur France 2 quelques jours plus tard, Macron lui-même raconte comment il a supervisé ce chantier : "J'ai décidé de donner un horizon court parce que j'étais convaincu que c'est ce qui permettrait d'abord d'avoir un résultat et ensuite de donner une espérance à l'échelle humaine (...) Le chantier était plus grand que nous tous, mais la clé est de ne jamais laisser de place au doute, d'avoir de bons chefs et agir ensemble."
De la visite de chantier à la cérémonie
Après la visite de chantier couverte pendant plus de 3h par les chaînes d'info et France 2 le 29 novembre, place à la cérémonie du 7 décembre, imaginée par l'Elysée pour célébrer la réouverture de Notre-Dame.
C'est France Télévisions qui est à la manœuvre pour filmer du sol au plafond, avec des grues et des drones, chaque centimètre carré de la cathédrale pendant toute la journée, avec en point d'orgue la cérémonie et le concert. Une opération à 700 000 euros, selon Le Canard enchaîné
et dont les images ont été cédées à titre gracieux aux chaînes du monde entier, à la demande de Macron, afin de garantir une audience la plus large possible. Un investissement donc, mais qui valait le coup.
Dès 6h30, soit 13h avant le discours de Macron (on n'est jamais trop en avance), France 2 était en direct du parvis de Notre-Dame pour Télématin
.
Une journée continue, avec des interviews exclusives, comme celle de Martine, qui habite juste en face de Notre-Dame.
C'est long de meubler pendant 13h. Mais l'avantage de prendre l'antenne aussi tôt, c'est qu'on a pu voir le soleil se lever sur la cathédrale et apercevoir progressivement les grues et les échafaudages qui sont toujours là.
Le chantier n'est effectivement pas terminé. Des travaux de couverture sont toujours en cours à la base de la flèche, tout comme dans les tours qui ne rouvriront que dans six mois. Et des travaux sur les extérieurs sont prévus au moins jusqu'en 2028.
Mais quand Macron dit cinq, c'est cinq. D'ailleurs, tout comme la semaine précédente, le plateau de France Télévisions est unanime. "Je ne fais pas de politique, mais sur ce dossier, le président de la République a pris un certain nombre de bonnes décisions"
, explique sur France 2 l'un des invités . Exemple ? "Une loi spéciale a été votée pour permettre de tenir ce délai, parce que ça compte aussi de pouvoir s'appuyer sur des procédures plus rapides, ça a permis l'achèvement de ce chantier de manière rapide"
, confirme le directeur général de la Fondation du patrimoine.
Une restauration accélérée, dont la prouesse est répétée tout au long de la journée, en oubliant au passage les conséquences de ces règlementations court-circuitées (lisez notamment cet article sur les conséquences du non-respect des chartes internationales en matière de restauration du patrimoine). Mais ce n'est pas le sujet de cette journée du 7 décembre, qui est historique à plus d'un titre.
"Un moment historique" en marge de la cérémonie
Comme si la cérémonie tout à la gloire de Macron ne suffisait pas, les chaînes d'info ont embrayé dans la soirée sur l'autre "moment historique"
. Donald Trump était à l'Elysée, juste avant de rejoindre Notre-Dame. Il y a rencontré le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. De quoi faire vriller des éditorialistes déjà bien dopés depuis plus d'une semaine.
Alors qu'on ne sait absolument pas ce qui s'est dit pendant cette brève rencontre à trois, sur BFMTV, pas de doute : c'est "une scène historique"
, un "moment historique"
, une "image historique"
, une "image qui restera dans les livres d'histoire"
(des phrases répétées en boucle pendant plusieurs minutes).
Mais il y a mieux que leur rencontre : leur départ de l'Elysée. Sur BFMTV, cela donne ceci : "Quelle image ! Mais quelle image ! Les deux véhicules américains et ukrainiens qui sortent de l'Elysée pour rejoindre Notre-Dame par le faubourg Saint-Honoré, on ne s'y attendait pas, on l'avait imaginé, peut-être qu'Emmanuel Macron l'avait rêvé, en tout cas, ça a fonctionné, la rencontre a eu lieu."
Pour Macron, c'est gagné. Il est trop fort. France 5 se demande même s'il "peut faire des miracles"
.
En fin de journée, Macron n'a plus qu'à accueillir ses amis-milliardaires-donateurs qui arrivent sur le parvis de Notre-Dame.
S'ensuit une cérémonie où le spirituel et le temporel s'entremêlent au sein de la cathédrale, sans gêner le moindre commentateur.
Une bien belle cérémonie à 10 millions d'euros, dont près d'un tiers a été financé par des fonds publics, d'après Le Nouvel Obs
. L'hebdomadaire précise d'ailleurs que l'organisation a été pilotée "par l'agence événementielle Publicis Live Paris, dont le président, Clément Léonarduzzi, est l'ancien conseiller en communication de 2020 à 2022 d'Emmanuel Macron."
Forcément, ça doit aider pour se faire canoniser.