Les 20 ans des "Grandes Gueules" : une soirée (très) spéciale

Sherlock Com' - - Médias traditionnels - Plateau télé - 35 commentaires

Sortez les cotillons. Les "Grandes Gueules" de RMC ont 20 ans. Pour l'occasion, cette "émission de débat d'actualité" a eu le droit à une petite soirée d'anniversaire sur RMC Story. Best of des meilleurs clash, défilé de chroniqueurs réac, remise de prix aux meilleurs (la concurrence était rude) et organisation de débats express sur les grands enjeux du XXIe siècle ("La France est-elle trop woke ?"). Plus de deux heures de fête et de rires avec Alain Marshall et Olivier Truchot, les deux présentateurs historiques. Ça fait rêver, hein ? Allez, c'est parti…

Ils ont tous tenu à leur laisser un petit message pour souhaiter "un immense anniversaire" à "une formidable émission" qui leur a laissé "de bons souvenirs", "de merveilleux moments". Oui, "une émission comme ça, c'est fantastique". "20 ans que je vous écoute avec plaisir", affirme l'une, "va falloir rester vingt ans de plus les gars", suggère une autre.

Une pluie d'hommages du petit monde de la télé, formulée par Léa Salamé (France 2), Anne-Elisabeth Lemoine (France 5), Yves Calvi (RTL), Eric Brunet (BFMTV), Benjamin Duhamel (BFMTV) ou encore Julien Bellver (TMC).

Ce jeudi 17 octobre, c'est soir de fête sur RMC Story. Alain Marshall et Olivier Truchot célèbrent les 20 ans de leur émission de débat, diffusée sur RMC depuis 2004 et en simultanée sur RMC Story depuis 2016. Dans une ambiance survoltée : "C'est les 20 ans des GG, c'est la soirée spéciale, c'est en public, et c'est le premier prime time des GG", s'écrie Marshall en intro. "Oui, on a attendu vingt ans pour cela", renchérit Truchot.

Ah les "Grandes Gueules" ! Les "GG" pour les intimes (prononcez bien "Gégé", comme votre ami Gérard qui a toujours un avis sur tout). Les "GG", c'est comme une émission d'éditorialistes sur une chaîne d'info, sauf que les journalistes et les politologues sont remplacés par de fortes personnalités (des grandes gueules) dont chacune est censée plus ou moins représenter une catégorie socio-professionnelle ou un champ d'expertise (dans l'émission, il y a toujours "la prof d'histoire-géo", "l'agriculteur", "l'écologiste", "l'économiste" ou "l'entrepreneur", etc.). Mettez-les autour d'une table et faites-les débattre sur tout et n'importe quoi avec des auditeurs au téléphone (car c'est important "d'écouter le peuple"). Vous obtenez ainsi une émission de 3h, diffusée entre 9h et 12h sur RMC, et suivie par un peu plus d'un million d'auditeurs chaque jour, depuis 20 ans ! Fallait donc bien fêter ça.

La soirée des GG ? Un mix entre "L'heure des pros" et Miss France 

En cette soirée d'anniversaire, il y avait donc une sacrée ambiance sur le plateau de RMC Story. La chaîne avait réuni tous les anciens chroniqueurs pour faire la fête, débattre, et revoir les meilleurs moments de l'émission.

Exemple de best of ? Pour faire le point sur "l'évolution du mouvement Metoo depuis vingt ans" (sic), on a revu des extraits de débats sobrement intitulés "Difficile d'être un homme aujourd'hui ?" ou "#Balancetonporc : est-ce de la délation ?". Avec quelques punchlines bien senties comme celle de l'éditorialiste-avocat-de-droite, Charles Consigny, lequel avait déclaré : "On a l'impression maintenant qu'il faut signer 30 pages de contrat en trois exemplaires, dont un chez l'avocat et en trois langues pour être sûr qu'on a le droit de faire un bisou".

Ce n'est pas tous les jours qu'une émission fête ses vingt ans. Alors pour cet anniversaire, Marshall et Truchot ont eu une brillante idée : faire la fête dans la bonne humeur (tout le monde était mort de rire en visionnant les best of) tout en débattant sur des sujets pas vraiment hilarants (Metoo, le populisme ou encore la violence de la société). Et pour pimenter ce concept déjà bien piquant, les deux présentateurs ont aussi organisé un concours doublé d'un sondage pour désigner les meilleures "Grandes Gueules". A l'issue de chaque débat, le public était invité à voter pour son candidat. Celui-ci était alors qualifié pour une "finale" afin de désigner le grand gagnant de la soirée (avec remise de trophée). Lunaire.

Ce dispositif que l'on pourrait qualifier, au choix, d'audacieux ou de complètement dingo, a eu l'effet attendu : chaque intervenant était dans la surenchère, personne n'avait de filtre, et ça faisait rire plus ou moins tout le monde.

Le wokisme, par exemple ? Une catastrophe pour "l'agriculteur" du groupe, Didier Guiraud (un habitué de l'émission) : "La pression par le wokisme fait peser un poids sur la société où tu dois t'excuser de manger de la viande, où tu dois t'excuser d'être blanc, où tu dois t'excuser d'être un homme, ou tu dois t'excuser quand tu te retournes sur une fille dans la rue. Ce monde-là, c'est pas mon monde, et je n'ai pas envie de vivre dans ce monde-là". Applaudissements de la salle.

Le wokisme à l'université ? Un danger pour la recherche, selon "l'économiste", Pascal Perri, incapable de citer un exemple précis malgré plusieurs relances : "Ce que j'ai constaté dans le secteur de la recherche, de la vie universitaire, c'est que le wokisme s'est traduit par une espèce de contestation des connaissances qui sont acquises." Lesquelles ? "Dans le domaine des sciences par exemple, c'est vouloir contester le résultat d'analyses scientifiques. Non, la science n'est pas une opinion. La science, ce sont des connaissances."

L'écologie politique ? Trop punitive. "Je vais vous donner un exemple d'écologie bête et méchante, explique Alain Marschall. Ça a 24h. C'est ce cycliste qui s'est fait écraser Boulevard Malesherbes. Un drame épouvantable. Une enquête est ouverte pour meurtre. Derrière, Ian Brossat, sénateur communiste, monsieur Belliard, adjoint à la mairie de Paris, faut interdire les SUV. Eh bien ça, c'est bête et c'est méchant parce qu'on veut pénaliser tous les conducteurs de SUV alors qu'il s'agit d'un comportement."

D'ailleurs, à qui la faute ? "Quand on est cycliste dans Paris, on doit faire hyper attention et le nombre de cyclistes qui renverse des piétons est incalculable", assure un GG. "Le comportement des cyclistes est souvent outrancier", assure un autre. De quoi faire bondir la secrétaire nationale des Ecologistes, Marine Tondelier, venue souhaiter un joyeux anniversaire aux GG et dont on peine à comprendre pourquoi elle s'est mise dans cette galère : "On dit n'importe quoi sur quelqu'un qui est mort, moi ça me choque, je suis désolée". Ils sont sensibles, en plus, les écologistes.

Oui, quand on est une "Grande Gueule" sur RMC, on est souvent un réac' de droite. Y'a des indices partout, plus ou moins cachés. Par exemple, pour illustrer le débat intitulé "Demain, la France aux mains des populistes ?", Gégé Documentaliste avait bien préparé ses images d'illustration à diffuser sur l'écran géant. Et bizarrement, il n'a trouvé des photos que d'un seul groupe politique…

D'ailleurs, on débat de tout chez les GG, mais il y a un sujet où il n'y a pas vraiment de débat, c'est sur l'immigration. Dit autrement par Gilles-William Goldnadel, passé par RMC avant de rejoindre CNews : "Je pense que nous vivons (...) dans une guerre civile larvée et j'ai l'impression que mon pays est en cours d'être envahi." "Envahi par qui?", lui demande Truchot. "Par l'immigration", répond Goldnadel. "Je pointe sans grande originalité l'immigration comme la cause principale de tous nos maux, l'insécurité…"

Des propos qui ne suscitent aucune réaction des autres intervenants. Alain Marschall tente même de le rassurer : "Tu ne crois pas qu'en vingt ans, on va trouver une solution. Tu vois bien qu'en Europe, on durcit plutôt les lois. Même dans des pays gouvernés par la gauche, on fait voter des mesures plus restrictives". L'invasion et le danger de l'immigration, ça ne se discute même pas. D'ailleurs, au moment où Goldnadel fait sa tirade, regardez le plan de coupe et l'attitude des autres GG.

Des débats qui se concluent invariablement par ces mots de Marschall et Truchot : "Fin de la discussion, on va voter. Vous prenez vos boîtiers, s'il vous plaît. Vous avez tous été très bons, ça ne va pas être simple. Qui va se qualifier pour la finale ?"

Une émission à hauteur de comptoir

A ce stade de la chronique, on doit vous faire un aveu : c'est la première fois qu'on chronique une émission aussi vieille, que l'un de nous deux n'avait jamais vue (on ne dénoncera personne). Ils fêtent leur vingt ans, et ça fait vingt ans qu'on les évite. Alors pour être certain de ne pas être juste tombé sur une simple soirée d'anniversaire qui a tourné au fiasco (l'émission a été très peu suivie, avec seulement 250 000 téléspectateurs), on a voulu pousser le vice en regardant les émissions quotidiennes qui ont suivi cette soirée…

Gueule de bois garantie. Car à l'exception des best of, des rires forcés et du concours complètement déplacé, on retrouve exactement les mêmes ingrédients. Des jugements à l'emporte-pièce, sans aucun filtre, de la part de "grandes gueules" dont la présentation est toujours très incomplète. On retrouve toujours "la prof d'histoire-géo", "l'agriculteur", "le consultant" ou "l'entrepreneur". Mais derrière ces appellations très génériques, on croise des personnalités très marquées idéologiquement : "le consultant" Antoine Diers est surtout ex-porte parole de Reconquête, "la prof" Barbara Lefebvre est avant tout une toutologue bien réac' (lisez son portrait par Loris Guémart), "l'entrepreneur" Emmanuel De Villiers est surtout l'ancien directeur du Puy de Fou (et frère de) aux idées bien ancrées à droite. Et ainsi de suite.

Sur le fond, même constat que pour la soirée d'anniversaire. Metoo, c'est très bien, mais à petite dose. Par exemple, à propos de la condamnation de Nicolas Bedos à six mois de prison ferme pour agressions sexuelles, les GG du 23 octobre sont unanimes. Le verdict est jugé trop sévère : "C'est une sanction mondaine, on vient sanctionner une personnalité qui a une vie mondaine (...) Qu'il reçoive une sanction pour avoir touché l'entrejambe de cette femme sans son consentement, ça me semble tomber sous le sens (...) M'enfin, de là à lui mettre un bracelet électronique" (Barbara Lefebvre). Même relativisme de Truchot : "Les personnalités sont désormais plus sévèrement condamnées que les personnes lambda (...) La juge qui s'occupe de Bedos, s'occupe de Depardieu aussi. Depardieu devrait s'inquiéter". Ce dernier est poursuivi, rappelons-le, pour viols et agressions sexuelles.

En réalité, ce matin-là, le vrai problème, ce sont les féministes comme l'a expliqué Truchot : "Imagine Bedos sort un film ou monte sur scène, etc. T'auras des féministes devant la salle pour dire, c'est un scandale etc., alors qu'il a été condamné et qu'il a purgé sa peine. La condamnation devient à vie."

Une séquence à l'image de la soirée d'anniversaire. Mais avec un petit bonus : l'avis de Julie "de Brest dans le Finistère". Oui, car dans sa version quotidienne, les Gégés qui ont réussi (ceux qui sont en plateau) débattent aussi avec les gégés anonymes. Et ce jour-là, que pense Julie de la condamnation de Bedos ? Tenez-vous bien : "Je pense qu'il est victime de l'avènement Metoo et de toute la médiatisation qu'il peut y avoir autour de toutes ces histoires d'attouchement sexuel, etc. Moi je vis dans un milieu commercial, ce genre de comportement, j'y ai affaire tous les jours, enfin très souvent, de la part de certains hommes qui se permettent ce genre de choses. Bah, je suis une femme, je mets une baffe quand ça m'arrive. Je ne vais pas porter plainte. Je pense que les femmes en question ont été porter plainte parce que c'est Nicolas Bedos, et pas autre chose." Trop aimable pour les victimes.

Dans cette émission, les éditorialistes ont de "vrais" métiers, et les personnes au bout du fil font partie du "vrai" peuple. Et les vrais gens sur RMC aiment la bagnole et pas l'écologie punitive, râlent contre le wokisme, le féminisme. Et détestent les impôts. En pleine discussion budgétaire, les GG de RMC ont une obsession : l'augmentation des impôts. Truchot n'a pas eu de mots assez durs contre les hausses d'impôts ("On est en train de faire les poches des Français", "les élus sont addicts aux impôts", "On va emmerder les gens en les taxant"). Et ce n'est pas "Patrick du Gard" qui dira le contraire : "N'importe quel chef d'entreprise fera mieux que n'importe quel ministre". Comprendre : ne pas dépenser à tout va. 

Des réac avec un petit parfum poujadiste contre les élus et les impôts, c'est un peu ça les "GG". Et si vous voulez approfondir le sujet, en plus de la soirée en replay et de l'émission quotidienne, ils sortent un livre pour leur 20 ans.  Un "texte remarquable", selon Augustin Trapenard, l'animateur de France Télévisions qui a lui aussi tenu à leur rendre hommage 

Par chance, on n'est pas critique littéraire. Alors pour le livre, on passe notre tour.

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