Le Super loto de Super Bern : une mobilisation de façade pour le patrimoine

Sherlock Com' - - Plateau télé - 20 commentaires

Et le numéro gagnant est... Stéphane Bern. En proposant de financer, via des jeux de hasard, la rénovation de châteaux en ruine, toits d’église, contreforts ou tout autre caillou ayant plus ou moins appartenu à une marquise ou à l’Eglise, Macron a réussi son coup : mettre en scène la mobilisation du pouvoir pour le patrimoine... tout en diminuant les crédits de l’Etat dans ce domaine. Une prouesse réalisée grâce à la complicité de Stéphane Bern, alias Super Bern, l’animateur télé adoré par la télé.

On ne soulignera jamais assez le pouvoir de la télé. Il suffit que tu y passes ta tête de temps en temps, peu importe ce que tu peux raconter (balancer deux vannes pendant l’eurovision, dérouler le CV d’une obscure duchesse luxembourgeoise ou faire des lancements entre deux chansons de Sardou pour son dernier concert), et c’est magique, les gens t’aiment. Et les gens de la télé t’aiment aussi et te filment en train de te faire aimer par des gens de la rue.

C’est ce qu’a fait Sept à huit (TF1) avec Stéphane Bern le week-end dernier.

Bern, un simple animateur télé aux compétences historiques douteuses ? Non, c’est une “star” qui a “une place de choix dans le coeur des Français”, nous explique TF1. La preuve en images : les gens lui tombent dans les bras quand ils le croisent...

Ils lui réclament des selfies en permanence...

Ou alors on le porte en triomphe...

Il est sympa Stéphane Bern. Proche des gens, et de la nature : “c’est un jardinier du dimanche”, nous dit TF1. Bern confirme en regardant les arbres : “Y’a des abeilles, c’est chouette”.

Il a des poules également...

Proche des gens et de la nature, Bern est très populaire. Et c’est pour cette raison que Macron lui a confié une mission : sauver le patrimoine en péril en cherchant “des solutions innovantes pour assurer le financement des travaux indispensables”. Et qui dit solutions innovantes, dit loto du patrimoine. Oui, pour financer la rénovation de vieilles pierres, Stéphane Bern a annoncé le lancement d’un super loto et de jeux de grattage, en partenariat avec la Française des Jeux. Objectif ? Récolter entre 15 et 20 millions d’euros.

Dit autrement par la voix off de Sept à huit : “La star s’est vu confier une mission plus que royale, pharaonique : réhabiliter et protéger le patrimoine français”. Super Bern et son Super loto font l’unanimité dans le reportage de TF1.

Les caméras l’ont notamment suivi lors d’un cocktail organisé par une marque de montre suisse ayant accepté de lui faire un chèque pour sa mission patrimoine. D’autres stars (un peu sur le déclin) sont de la partie comme Claire Chazal…

... Michel Boujenah

... ou encore l’acteur Pascal Elbé, à qui l’on pourrait attribuer le César du meilleur acteur dans un second rôle de cireur de pompe :

- Elbé : “C’est formidable ta mission”

- Bern : “Ah c’est vrai ? C’est gentil de me le dire”

- Elbé : “Je suis fier que ce soit toi qui t’occupes du patrimoine français. Je trouve ça génial avec ta culture et ta légitimité absolue.”

Une légitimité absolue pour un royaliste, c’est pas mal. Surtout que Super Bern se vit comme un modèle pour ses sujets : il a acheté un collège royal dans le Perche pour le rénover. “Je crois beaucoup à la valeur de l’exemple”, explique-t-il à TF1.

N’en déplaise aux mauvaises langues, tout ça, c’est avec son argent : “Au début, il y avait quelques remarques bizarres. Les gens disaient : tout ça c’est avec nos impôts. Mais non, justement, je n’ai touché aucune subvention publique pour tout ça. C’est avec mon argent que j’ai gagné. Alors certes, je ne vais pas pleurer la misère, je suis convenablement payé pour mon travail et cet argent m’a permis de m’endetter pour le restant de mes jours parce que vous savez, on ne me prête pas sur ma bonne mine non plus”.

Ma bonne mine, il est chou Super Bern. Et il a la mémoire courte car contrairement à ce qu’il dit, il a bien “pleuré la misère” sur son salaire il y a quelques mois :

En février 2018, il avait déclaré sur RTL qu’il en avait marre d’être payé… comme un smicard. “Quand vous présentez des émissions, vous vous apercevez que tout le monde s'en met plein les poches, mais que vous, vous êtes juste payé un peu comme le smicard de l'émission". Des propos confirmés quelques jours plus tard sur Europe 1 : "C'était assez vrai. On vous demande d'être sur le plateau et puis vous êtes payé comme un technicien”.

On ne sait pas combien est payé un technicien de la télé ou un smicard d’émission mais c’est visiblement une grille de salaire stratosphérique. Car selon Sept à huit, pour acquérir son château dans le Perche, Super Smicard a payé le domaine 350 000 euros et souscrit un prêt de 4,8 millions d’euros pour les travaux ! 

Une telle capacité d’emprunt force le respect. Et du respect, il y en a eu sur BFMTV. Au moment même où le reportage de TF1 était diffusé, Bern était en direct sur la chaîne d’info en continu pour près de 40 minutes d’auto-promo de son Super loto.

Une interview serrée menée notamment par Apolline de Malherbe (dont le prompteur est visiblement réglé beaucoup trop haut car elle pose toutes ces questions en regardant en l’air).

Mais aussi Anna Cabana, qui a une parfaite maîtrise technique de ces dossiers (“On vous sent, Stéphane Bern, vraiment habité par cette mission que vous a confié le président de la République”).

Des journalistes de choc donc qui ont déroulé le tapis rouge à Super Smicard. Et quand Super Smicard est en confiance, c’est un spectacle son et lumière :

Macron ? “Un bon président est un président qui se comporte comme un roi”, disait un président portugais. Bern confirme. Car Macron, c’est d’abord quelqu’un qui a du style : “Ca fait plaisir quand même, juste un détail, un président qui ferme sa veste. C’est idiot, mais il sait se tenir. Il sait ce que c’est que de représenter un pays”. C’est pas comme Ruffin, dont le “discours passerait davantage et qui serait beaucoup plus crédible s’il mettait une cravate et une veste”.

Car voyez-vous, Bern a des convictions : “J’ai envie d’être représenté par quelqu’un qui me met plus haut que moi-même”. Et autant vous dire qu’être plus haut que Bern, c’est une performance.

Super Bern est un héros : “Quand le chef de l’Etat vient vous proposer de servir votre pays, qui que nous soyons, nous devons servir notre pays. Moi, je le sers de cette manière. Je ne suis pas capable d’aller me battre, je ne suis pas capable de prendre des armes, d’être policier, je n’ai pas assez de bravoure pour ça, ni de courage. En revanche, ce que je sais faire, c’est fédérer les énergies et dire maintenant on va se relever les manches et on va sauver le patrimoine”. Ok, Super Bern, fédère les énergies, relève tes manches et va sauver le patrimoine. “Vous savez, la plupart des animateurs télé, ils prennent l’oseille et ils se tirent, insiste Bern. Ils font leurs émissions, ils rentrent dans leur 4x4 blindé et puis, ils ne font rien. Moi, j’ai tout donné à mon pays”.

Il a tout donné à son pays. Et surtout un plan com’ assez spectaculaire. Car son loto du patrimoine a passionné toute la presse : 

L’occasion pour Super Bern de faire la promo des jeux de hasard : “Pour 15 euros, un ticket sur trois vous rapporte la somme, c’est-à-dire que chaque fois que vous allez en acheter, vous avez toutes les chances de gagner jusqu’à 1,5 millions d’euros”, répète l’animateur à longueur d’interview, en oubliant au passage toutes les mesures de prévention sur les jeux de hasard.

Un peu gênant. Car la presse oublie souvent de rappeler que ce Super loto revient surtout à faire payer aux classes populaires ce que l’Etat ne finance plus ou que les mécènes financent moyennant des crédits d’impôts. D’après une étude de l’Inserm, citée par Marianne, “près de 50% des ouvriers cochent les petites grilles, quand moins de 20% des personnes exerçant une profession libérale s’y adonnent”. Allez les pauvres, payez la rénovation des châteaux, c’est Super Bern qui régale. Pardon, qui “fédère les énergies, retrousse les manches et sauve le patrimoine”

Enfin ça, c’est le discours officiel. Car, en réalité, ce Super loto est une mobilisation de façade. Au-delà du fait que Bern fait surtout de la promo pour la Française des jeux (seuls 10% du montant d’un ticket ira au patrimoine), ce Super loto a surtout pour fonction de combler les habituelles économies cachées :

Le Canard enchaîné mais aussi La Tribune de l’art ont révélé les dessous de cette opération de com’. Contrairement à ce que laisse entendre le gouvernement, ce Super loto n’est pas organisé dans un contexte de forte mobilisation en faveur du patrimoine. “Le budget dédié à l’entretien et à la restauration du patrimoine augmentera de 5% en étant porté à 326 millions l’an prochain, un niveau qui n’avait pas été atteint depuis dix ans”, avait par exemple affirmé la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, fin 2017. Ce qui est faux comme l’a expliqué La Tribune de l’art. 

En réalité, Bern et ses nouveaux amis jonglent avec les chiffres en mélangeant “les autorisations d’engagement” (le budget prévisionnel) et les “crédits de paiement” (ce qui est effectivement dépensé pour payer les factures). Si les autorisations d’engagement augmentent bien de 5% pour 2018, dans le même temps, les crédits de paiement pour le patrimoine monumental “passent de 333,8 à 332,9 millions d’euros, soit une baisse de 0,3%”. Pour 2018, les crédits réellement débloqués sont donc, au mieux, stables.

Au mieux, car encore faut-il que les chiffres annoncés dans la loi de finance soient les mêmes un an plus tard. Dans les faits, au mois de novembre de chaque année, Bercy sabre dans les dépenses du patrimoine. Par exemple, selon Le Canard enchaîné, qui cite des chiffres issus du “rapport annuel de performance, joint au projet de loi d’approbation des comptes de l’Etat pour 2017” (autant dire un document qu’on lit rarement sur la plage), le budget consacré au “patrimoine monumental” a subi de sévères coupes l’année dernière. Si on prend juste ce qui a été effectivement dépensé (les fameux crédits de paiement) par rapport à ce que prévoyait la loi de finance de 2017, il manque 33 millions d’euros. Sachant que le Super loto devrait rapporter entre 15 et 20 millions d’euros, la petite farce de Super Bern ne compensera donc que la moitié des coupes budgétaires décidées en novembre par Macron. A moins que l’animateur trouve d’autres “solutions innovantes de financement”. Le rétablissement de la gabelle par exemple ?

Le thème de la 100e CHRONIQUE

Dans quinze jours, ce sera la 100e chronique. On n'est pas très anniversaire mais on est joueur. On vous a demandé de proposer des sujets (dans le forum et par mail). Et voici les 4 propositions que nous avons pré-sélectionnées :

1. Une chronique sur le foot

2. Les séries américaines de la TNT

3. Un journal télévisé d'il y a 30 ou 40 ans

4. Une chronique sur l'émission Arrêt sur images (mais bon, on aimerait éviter de perdre notre job avec cette 100e)

A vous de choisir ! Vous pouvez exprimer votre choix par mail, dans les forums ou sur Twitter !

DEVINETTE  EN BERN

Que collectionne Stéphane Bern ?

a- Des mugs de la reine d'Angleterre

b- Des moules à cake de la duchesse d'York

c- Les boutons de manchette de Macron 1er

La réponse sera donnée sur notre compte Twitter dimanche à 20h.

(Le ou la gagnant(e) recevra un jeu de grattage perdant)

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