#Génération2021 : du boulot (et pas de politique)

Sherlock Com' - - Plateau télé - 33 commentaires

Matéo a eu du bol. Elise Lucet et Samuel Etienne se sont mobilisés pour lui et pour Léjeunes, en animant une soirée spéciale, diffusée simultanément sur France 2 et sur Twitch jeudi 18 mars. Un double-live exceptionnel, consacré à la #génération2021, celle qui subit de plein fouet la crise du covid-19. Précarité des étudiants, difficulté à trouver un stage, sentiment de perdre leurs plus belles années : la jeunesse avait la parole sur le service public. Une parole encadrée, dénuée de toutes revendications, et censée trouver une oreille attentive auprès des entreprises qui recrutent. Oui, cerise sur le gâteau, la chaîne a organisé un "téléthon jeune" pour faire grimper un compteur d’offres d’emploi et ainsi venir en aide, entre autres, à Matéo, cet électricien en reconversion qui va (presque) trouver du travail en direct. Un double live résumé ainsi par Samuel Etienne : "Il y a des belles histoires en cours."

Générique.

Vous avez bien branché vos casques ?

Samuel, un ptit selfie avant de prendre l’antenne sur France 2 ?

Attends attends, moi aussi, un ptit selfie pour mes fans !

Vous êtes prêts les jeunes ? Le service public vous a concocté 3 heures de programmes, rien que pour vous, à la fois sur France 2 et sur Twitch, la plateforme de streaming qui n’a plus de secret pour les abonné.e.s d’ASI  :

Le "jeune", vu par la vieille télé

Nous sommes la génération 2021 est donc une émission qui donne la parole aux jeunes. Le jeune, pour la vieille télé, c’est forcément quelqu’un qui…

... fait du skate

… joue au babyfoot

… participe aussi à des débats (mais assis sur des caissons, à la cool)

... ou dans un décor de bar.

Bref, pour le téléspectateur de France 2, plutôt âgé et presbyte, il faut des marqueurs bien visibles.

Dans ce décor stéréotypé, Elise Lucet et Samuel Etienne vont donc écouter les témoignages de Jeanne, Elsa, Andy, Hugo, Sam, Matéo et bien d’autres. "On va écouter vos inquiétudes, vos doutes, vos angoisses mais aussi vos espoirs, vos engagements, vos rêves", explique Lucet en introduction.

Pendant les trente premières minutes de l’émission, le constat est accablant. Les jeunes sont touchés de plein fouet par la crise du covid-19 sur tous les plans. Ils peinent à suivre les cours à distance, à trouver du travail, un stage, un contrat d’apprentissage. Moralement, c’est très compliqué. Et pour le vieux téléspectateur de France 2 aussi, les témoignages et le contexte actuel plombent le moral.

En revanche, au même moment, sur Twitch, l’ambiance est tout autre. Quand France 2 diffuse des témoignages de jeunes pour que les téléspectateurs moins jeunes comprennent leur situation, les "viewers" du live sur Twitch plaisantent avec la journaliste Eléonore Gay et ses invités.

Un décalage qui donne des séquences un peu lunaires. Exemple ? Au début de la soirée, la journaliste-twitch intervient sur l’antenne de France 2 et laisse son invité meubler le live. On vous laisse découvrir cette séquence popcorn :

Deux programmes, deux ambiances. Et un objectif tout au long de la soirée : trouver un job aux jeunes.

Téléthon pour la jeunesse : "Je vous le confirme, ça monte"

Parmi les partenaires de ce double-live, il y a Wan2bee. Wan2bee ? C’est le journaliste Adrien Rohard qui en parle le mieux : "C’est une plateforme géniale, extrêmement intelligente où vous pourrez retrouver plein d’offres d’emplois." Wow, une plateforme extrêmement intelligente ! Mais comment ça marche ?

"On va scruter un chiffre, ce compteur."

"Evidemment, on a envie que ça explose, ce compteur ce soir. Donc on a besoin des entreprises. Si vous êtes un patron, mobilisez-vous pour faire grimper ce chiffre-là."

"On va le surveiller, vous pouvez le faire bien sur sur Wan2bee.com et aussi sur Twitter #Generation2021, toutes les équipes digitales sont sur le coup et puis voilà, faut qu’on soit utile pour les jeunes."

Hélas, dès le début de la soirée, cette plateforme qui propose des offres d’emplois et sur laquelle Léjeunes peuvent postuler, ne tient pas la charge…

Même si le serveur lâche par moments, le chiffre augmente au cours de la soirée. A 22h, Lucet demande à Rouhard d'actualiser la page en direct. Faut cliquer ici : 

Résultat ? 46 792 offres disponibles ! "Ca grimpe", constate le journaliste. A 22h40, la courbe s’envole : "On m’a murmuré tout à l’heure dans l’oreillette qu’il y avait 50 candidatures par minute, par minute. Vous vous rendez compte à tel point c’est énorme". Et à 23h30, le chiffre est même "colossal".

L’occasion pour le journaliste de remercier toutes les entreprises partenaires de ce téléthon pour jeunes : Allianz, Manpower, Alten, Schneider Electric, etc.

"On va essayer de trouver un emploi pour Matéo"

Il y a aussi un autre partenaire, moins visible en apparence. Au cours de la soirée, Etienne et Lucet interrogent plusieurs "jeunes" qui cherchent un emploi ou un stage. Par exemple, Taya cherche un stage de 7 semaines dans le cadre de son CAP pâtisserie. Laure cherche un job de "chef de produit" dans l’industrie agroalimentaire. Et il y a Matéo, 22 ans.

Titulaire d’un BTS électrotechnique, il cherche à se réorienter dans la logistique, non sans peine. "On va essayer de trouver une solution ce soir, annonce Samuel Etienne. Vous cherchez un emploi de cariste dans votre région ? Avec le hashtag #Generation2021, on va essayer de trouver un emploi là, ce soir, pour Matéo."

"Peut-être même sur le plateau, on ne sait jamais", ajoute Lucet.

Oui, car sur le plateau, il y a Emmanuel Deschamps, le patron de Boulanger, la chaîne de magasins d’électroménager et d’électronique grand public (propriété du groupe Mulliez, qui licencie à tout va dans ses autres chaînes de magasins). 

"Un profil comme Matéo, ça ne peut pas vous intéresser ?" lui lance Lucet. A voir sa tête, on sent qu’il est pris au dépourvu.

Plan com' Boulanger. Moteur ? Action : "J’ai bien aimé ce qu’a dit Matéo. Et d’ailleurs, on a un grand entrepôt dans le Nord-Pas-de-Calais qui marche très fort en ce moment puisqu’avec le covid, internet marche très fort. Et on verra comment on peut aider Matéo, puisque c’est à côté de chez lui". Oh, génial ! En plus, ce n’était pas du tout prévu, la réalisation n’avait pas préparé un split-screen (littéralement, écran divisé) pour scruter la réaction de Matéo...

Mais au fait, au-delà du cas Matéo, c’est quoi la méthode de Boulanger pour embaucher ? "Il y a des talents cachés dans ce pays, poursuit le chef d’entreprise. Faut aller les chercher, et d’ailleurs ce soir, nous aussi, on cherche à embaucher. Mais autrement. Et donc on va proposer sur Twitch, si des jeunes veulent poster une vidéo pour chercher un job, parce qu’ils ont un CV qui ne leur semble pas suffisamment nourri, eh bien on pourra leur proposer une rencontre."

Des offres d’emploi sur Twitch. Pile dans la ligne éditoriale de ce double-live #Génération2021. Un pro de la com’ cet Emmanuel Deschamps. Car dès septembre 2020, l’enseigne Boulanger avait annoncé recruter 1000 jeunes d’ici le mois de février 2021. Tous ces postes n’ont pas été pourvus visiblement.

En revanche, pour Matéo, ça semble bien parti. Un peu plus tard, dans la soirée, Samuel Etienne nous donne des nouvelles du processus de recrutement : "On va vous raconter un peu ce qui se passe dans les coulisses (...) M. Deschamps de l’enseigne Boulanger est allé voir Matéo et je crois que la discussion est bien partie (...) Il y a des belles histoires en cours, bravo à tous les deux."

Même Vidal a adoré l'émission

Ah, de belles histoires ! Au cours de cette belle émission, parfaitement scénarisée (au début, les jeunes témoignent de leur difficulté, et à la fin, France Télés et les patrons les aident), il y a juste un ingrédient qui pourrait venir gâcher la fête : la politique.

Macron, Castex, Vidal ne sont jamais cités. Et pour cause : France 2 a volontairement refusé d’inviter des représentants de syndicats étudiants et des responsables politiques. L’objectif, c’était d’écouter la parole, de décrire le quotidien d’un jeune et de trouver des solutions, hors du champ du politique.

Un parti pris qui a nécessité de cadrer au maximum les prises de parole. Par exemple, dans la séquence "Les jeunes s’engagent", on parle de citoyenneté, d’engagement en milieu associatif, de combat pour la planète, contre le réchauffement climatique. L'une des étudiantes, Camille Etienne, militante écologiste, appelle à manifester "pour une vraie loi climat" tout en se gardant bien de critiquer nommément Macron et le gouvernement. 

De quoi ravir la ministre de l’enseignement supérieur, qui a adoré l’émission :

Mais pour aboutir à ce résultat, les producteurs de l'émission ont dû faire dans la dentelle. Surtout quand ils ont évoqué le drame de cet étudiant lyonnais qui s'est immolé en décembre 2019.

"Anas, un jeune homme très engagé"

A l'antenne, Lucet évoque "le témoignage d’un jeune homme très engagé, dans sa vie d’avant et dans sa vie d’aujourd’hui." C'est Hugo Clément qui a interviewé cet étudiant en résumant son histoire ainsi : "C’était un étudiant lyonnais qui a perdu ses bourses étudiantes, qui était dans une situation d’extrême précarité, qui était aussi quelqu’un de très engagé dans la vie syndicale, dans un syndicat étudiant. Et poussé dans un désespoir par la précarité, par la situation dans laquelle il s’est retrouvé, il s’était immolé par le feu (...) devant le Crous de Lyon."

S’ensuit un extrait du témoignage de l’étudiant, toujours hospitalisé aujourd’hui. Un témoignage dans lequel il déclare tenir grâce à sa famille, ses amis, son syndicat : "Il faut vivre pleinement sa vie, avoir une vie remplie de luttes, remplie d’espoir et voilà, c’est ça qui me fait tenir. C’est con à dire mais le pire est derrière moi, l’avenir ne peut être que meilleur."

Un témoignage fort, qui illustre la précarité étudiante. Sauf que France 2 a entièrement gommé la dimension politique de son geste. "Si je vise le bâtiment du Crous à Lyon, ce n’est pas par hasard, je vise un lieu politique, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et par extension, le gouvernement", avait-il écrit dans un message posté sur Facebook avant de s’immoler. 

Interrogé par Le Média, en novembre 2020, Anas expliquait que la France "a un problème de libéralisme, de néolibéralisme depuis des dizaines et des dizaines d’années et les quelques restes de ce qu’on peut avoir comme société, faites pour nous, c’est la sécurité sociale, c’est des bourses au CROUS, c’est des trucs comme ça." 

De son discours politique, les téléspectateurs de France 2 ne sauront rien. La chaîne a même réussi l’exploit de zapper le seul passage un peu politique de l’interview de Hugo Clément (diffusée en intégralité sur France TV Slash) et dans lequel Anas suggère au gouvernement de créer "un salaire étudiant" : "Ca marche au Danemark, je ne vois pas pourquoi ça ne fonctionnerait pas en France."

Un salaire étudiant ? Un RSA pour les moins de 25 ans ? France 2 n’a pas eu le temps d’évoquer ces sujets, trop occupé à mettre en scène la solidarité du service public à l’égard de jeunes censés être dépourvus de la moindre revendication à l’égard du politique.

Un dispositif qui n’a visiblement pas plu aux téléspectateurs étant donné la faible audience du programme : avec 559 000 téléspectateurs, France 2 se classe à la 13e place. Un "accident industriel" pour certains. Au moins, Matéo a trouvé du boulot.

A moins que… 

Courage les jeunes !

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