France 4, la chaîne fantôme presque sauvée par Macron

Sherlock Com' - - Médias traditionnels - Pédagogie & éducation - Plateau télé - 11 commentaires

Les Matéo et les Zoé se sont bien fait arnaquer. Il y a tout juste un an, Macron annonçait le maintien de France 4, la chaîne du service public dédiée à la jeunesse, qui devait officiellement fermer. Youpi ? Ce sauvetage de dernière minute avait été obtenu grâce au Covid et à Blanquer, lequel avait tenté de masquer le fiasco de l'école numérique en diffusant sur France 4 des programmes éducatifs à destination des enfants coincés chez eux. Quelques mois plus tard, ils sont retournés à l'école, mais Macron leur a fait le cadeau de maintenir la chaîne. Enfin presque. Car si France 4 est toujours diffusée sur le canal 14 de la TNT, figurez-vous que le gouvernement n'a débloqué aucun crédit supplémentaire pour la maintenir à flot. C'est ballot. Et ça donne quoi une chaîne fantôme sans réel budget ? Une chronique.

"Puisque vous êtes deux à vouloir obtenir le poste, il va falloir tenir un vote." C'était soir d'élection ce mercredi 28 avril sur le canal 14 de la TNT. Pas de retraite à 65 ans, ni de préférence nationale ce soir-là, il s'agissait de l'élection de…

Pour ce poste si convoité de "capitaine sympa", les candidats Otto et Ovide n'ont pas ménagé leur peine pendant la campagne.

L'un a fait de la prestidigitation…

L'autre a distribué des hamburgers gratuitement…

Et les deux candidats ont participé au débat final...

Otto, Ovide et Léa Salami ? Ce sont les personnages de la série pour enfants "Organisation super insolite", diffusée tous les soirs à 19h45 sur France 4. En frontal avec TPMP, Hanouna peut trembler. 

Dans cette série canadienne totalement loufoque, où des enfants gèrent une agence gouvernementale, les scénarios farfelus ont pour objectif plus ou moins caché de pousser le jeune téléspectateur à faire… des maths. Dans l'épisode "Capitaine sympa", les candidats vont ainsi découvrir le système des "traits pour compter".

Dans l'épisode suivant, complètement barré quand on le regarde à jeunles personnages sont censés attraper une créature fantastique, appelée le "Sploutch" et qui a comme particularité d'être composée de liquide bleu fluo... 

L'occasion pour nos aventuriers de mesurer la quantité de "sploutch" attrapé…

Bref, tout est prétexte pour "faire des maths" dans ce programme déjanté. C'est en tout cas comme ça que la responsable "des acquisitions jeunes publics à France Télévisions" a vendu la série auprès du Figaro : "C'est un divertissement intelligent car il met en évidence des petites notions de maths (opérations, géométrie…) intéressantes pour les enfants." Sploutch.

Mettre en évidence des "petites notions", c'est un peu le principe de tous les programmes de France 4. Un peu plus tôt, dans la journée, les choupinous ont par exemple découvert la Hongrie, grâce à "Scooby-doo en Europe".

Pas de Victor Orbán à l'horizon (c'est pour les petits), mais une série de vraies cartes postales sur lesquelles ont été rajoutées des images d'animation.

Autre sujet de sensibilisation de la chaîne : l'écologie. Au cours de la journée, le célèbre Anatole Latuile a trié ses déchets...

De son côté, Rocky Kwaterner, un jeune garçon des cavernes qui a été dégelé 28 000 ans plus tard (le scénario est du même niveau que le "sploutch"), a évité l'abattage d'un arbre prévu par la mairie.

Le tout, sans aucune page de publicité, à l'exception de quelques programmes sponsorisés par les voitures Majorette…

Comment France 4 a échappé à la fermeture annoncée

Ces dessins animés, nos choupinous ont bien failli ne pas les voir. Promise à la fermeture dans le cadre d'une réduction de budget de l'audiovisuel public, France 4 a finalement été sauvée par le Covid. En 2020, pendant le premier confinement, le ministère de l'Éducation nationale s'est servi de ce canal pour proposer des "cours filmés" de maths, français ou encore histoire-géographie pour les élèves qui n'avaient pas d'équipement informatique.

Ces émissions siglées "Lumni" (du nom de la plateforme éducative recensant les principales ressources vidéo de l'audiovisuel public) ont perduré après la fin du premier confinement, repoussant d'une année la fermeture de France 4, prévue pour août 2021. 

Mais c'était sans compter sur la mobilisation des députés et sénateurs. Au printemps 2021, deux tribunes sont publiées, d'abord dans Le Monde, puis dans Le JDD, pour demander le maintien de France 4 afin de renforcer "le secteur d'excellence français de l'animation", "l'innovation pédagogique", et venir en aide aux "familles les plus modestes qui n'ont pas d'internet haut débit". Un maintien d'autant plus envisageable que la suppression de la chaîne n'entraînerait qu'une "vingtaine de millions d'euros d'économies", soit "moins que le budget d'une commune de 10.000 habitants", notent les parlementaires.

Aider "les familles modestes", via "l'innovation pédagogique" ? Face à de tels arguments, Macron ne pouvait pas rester insensible. Dans un tweet, publié le 18 mai 2021, il annonce le maintien du canal de France 4, désormais partagé entre une offre jeunesse en journée (baptisée "Okoo") et des programmes centrés sur la culture en soirée (siglés "Culturebox", et destinés à un public adulte).

Un an après, que reste-t-il de "l'innovation pédagogique" ?

Aujourd'hui, plus de 90 % du temps d'antenne de France 4 - Okoo est occupée par des dessins animés et des séries. Seules trois émissions ont subsisté :

- Les "cahiers de vacances de Lumni", un programme de 30 minutes soutenu par le ministère de l'Éducation nationale sous le label "nation apprenante", présenté par Alex Goude, ancien animateur de M6 devenu la "tête d'affiche de la chaîne", entouré de profs-chroniqueurs.

- Le dimanche soir, c'est "le jeu Lumni", un quiz de culture générale opposant deux enfants (qui ne sont pas en plateau, mais en visio), et animé par l'irremplaçable Alex Goude.

Dernière émission, et non des moindres : "C'est toujours pas sorcier". Diffusé le dimanche, et rediffusé le mercredi, ce programme est un remake de la célèbre émission de France 3, animée par "Fred, Jamy et Sabine" entre 1993 et 2014.

Vous vous rappelez de cette émission de vulgarisation scientifique ? Dans son camion, Jamy expliquait les différents phénomènes avec des maquettes en bois, Fred et Sabine partaient sur le terrain, en reportage, pour illustrer les explications de Jamy et une voix off, baptisée "la petite voix", apportait des informations complémentaires.

Dans la version 2022, exit Fred, Sabine, Jamy et le camion. France Télévisions est allé chercher de nouveaux animateurs, notamment Max Bird, bien connu des internautes pour sa chaîne YouTube de vulgarisation scientifique lancée en 2016. Le camion, lui, a été remplacé par une cabane.

Côté innovation, la "petite voix" a été remplacée par... Alexa, d'Amazon, appelée "Sami".

Pour le reste, c'est la même chose. On retrouve les mêmes maquettes…

Bref, vous l'aurez compris, côté "innovation pédagogique", on repassera. Mais il y a tout de même un petit changement, c'est le budget. 

Dans les années 1990, quand "C'est pas sorcier" s'intéressait à la fabrication du chocolat, Sabine allait au Mexique pour cueillir une cabosse et l'ouvrir.

En 2022, France 4 s'est contentée d'aller à la cité du chocolat, à Tain-L'Hermitage, près de Valence, ça fait moins loin.

Même chose pour l'épisode diffusé cette semaine et consacré "au poids et à la masse". Dans les années 1990, Fred avait participé à un vol dans un Airbus pour tester l'impesanteur.

Dans la version France 4, Mathieu a fait la même expérience mais avec un appareil de "Dijon Voltige". 

Moins spectaculaire et plus compliqué à filmer vu qu'il est censé nous montrer un état d'impesanteur en étant sanglé dans un petit coucou.  

Ça va Mathieu ? "Ah là, je sens plus rien, je suis tout léger".

Heureusement, il a quand même prévu le coup, il est venu avec Lélette, son doudou...

Et ça marche auprès du jeune public ? On ne pourra pas répondre à cette question. Oui, parce que figurez-vous que depuis le 3 janvier 2022, France 4 "ne souscrit plus au service Médiamat quotidien". Dit autrement : France Télévisions a décidé de ne plus calculer l'audience de France 4. Une première pour une chaîne nationale du service public ! Officiellement, c'est pour détacher les deux entités, Okoo et Culturebox, des contraintes d'audience. Louable, si ce changement ne cachait pas autre chose : selon les derniers chiffres disponibles de novembre 2021, France 4 a amorcé une chute spectaculaire de ses audiences ces derniers mois. Dernière chaîne de la TNT avec Franceinfo, elle n'affiche plus qu'une part de marché de 0,7% alors qu'elle était à 1,2% en 2020.

Une chaîne de replay, faute de budget

Mince alors, mais comment expliquer une telle chute ? C'est sans doute lié à sa grille des programmes. Oui, car à l'exception de certains dessins animés comme "Foot 2 rue", et de la version low cost de "C'est pas sorcier", tout le reste est du réchauffé : "Les cahiers de vacances de Lumni" et "Le jeu Lumni" qu'on a regardés sont en fait... des rediffusions. 

Scooby-Doo et l'Europe, c'est pas mal. Mais cette série d'animation qui date de 2019 ne comporte que 20 épisodes. Autant vous dire que cette semaine, ce n'était pas leur première visite de la Hongrie...

Quant à Rocky Kwaterner, si votre enfant l'adore, il sera servi : France 4 rediffuse les rediffusions à la chaîne, jusqu'à 5 épisodes de suite sans aucune pause.

Bref, tout ça ne ressemble pas à grand-chose. Rien de très étonnant : dès l'annonce du maintien de la chaîne en mai 2021, France Télévisions avait précisé que la grille des programmes ne changerait qu'en janvier 2022, "faute de budget initialement prévu". Et en janvier 2022, on a appris que cette nouvelle grille était repoussée à l'été 2022, voire à la rentrée. Mais rien n'est moins sûr. Car en réalité, France Télévisions n'a pas un sou. Soumis à une cure d'austérité sans précédent depuis quatre ans (160 millions d'euros d'économies), le groupe réduit la voilure. 

Une situation dénoncée en novembre 2021 par le rapporteur de la commission de la culture du Sénat : "Le coût du maintien de France 4 devrait s'élever entre 20 et 40 M€ en 2022 en fonction du niveau d'ambition retenu. Or, le Gouvernement n'a prévu aucun crédit supplémentaire pour permettre à l'entreprise de faire face à cette dépense de telle sorte que cette charge devrait peser sur la trésorerie du groupe et peut-être nécessiter de présenter des comptes en déficit en 2022." Et le rapporteur de "déplorer que la chaîne publique de la jeunesse continue à ne pas être une priorité de ce Gouvernement."

Bref, Macron nous a fait marcher. Et ce n'est pas en proposant de supprimer purement et simplement la redevance que l'audiovisuel public va retrouver les moyens.

En attendant, ce fiasco n'est pas perdu pour tout le monde. Faute de nouveaux tournages pour France 4, Alex Goude anime désormais un jeu sur France 2. Mais il n'a pas totalement lâché le filon de la jeunesse. Il anime aujourd'hui un "club de lecture" mensuel pour enfants, diffusé sur son compte Instagram (142 000 abonnés). Un club de lecture baptisé, accrochez-vous, "club de lecture Happy Meal" dont le principe consiste à promouvoir les collections de livres proposées par McDo dans ses menus enfants. 

On termine donc par son conseil de la semaine : "Vous pouvez bien sûr aller au McDo prendre un Happy Meal pour prendre cette collection, amusez-vous bien avec ces petits livres". Lire en mangeant du McDo, on n'a pas trouvé mieux comme "innovation pédagogique".

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