Disneyland : 30 ans de rêve et de magie (sauf pour les employés)

Sherlock Com' - - Coups de com' - Plateau télé - 34 commentaires

Mickey ne nous avait pas habitués à ce genre de parades. Depuis quelques semaines, des salarié·es de Disneyland Paris multiplient grèves et manifestations dans le parc pour dénoncer leurs conditions de travail et leur faible salaire. Un mouvement surprenant pour n'importe quel téléspectateur fan de Disney qui a regardé toutes les émissions “spéciales” diffusées et rediffusées sur M6 et C8 depuis un an pour célébrer les 30 ans du parc. Car dans ces programmes censés nous montrer toutes les coulisses, il n'est jamais question de mauvaises conditions de travail. Bien au contraire : pour M6 et C8, on ne travaille pas vraiment à Disneyland, les employé·es font plutôt partie d'une "famille" unie dans le seul but de créer du "rêve" et de "la magie". Oui les pitchouns, cette semaine, on vous emmène dans le monde merveilleux de Mickey.

Générique !

C'est très sérieux Disneyland. Pour fêter les trente ans du parc de Marne-la-Vallée, C8 n'a pas interviewé Dingo, Mickey et sa femme. Non, ils sont allés chercher…

Et surtout…

Entre nous, en regardant la rediffusion de la soirée spéciale de C8 sur les 30 ans du parc, on ne s'attendait pas à croiser Christophe Barbier. Le témoignage de l'éditorialiste de BFMTV est de première main. C'est un amoureux du parc ("J'y suis allé en 30 ans plus d'une centaine de fois"), il oublie tous ses soucis là-bas ("Vous retombez un peu en enfance, on ne peut rien vous faire (...) vous êtes ailleurs, dans un autre monde"). Quand il y a beaucoup trop de monde, il s'y plaît encore plus car attendre, il adore ça : "Une grande partie de mon plaisir, quand je vais dans ce parc, c'est de regarder, non pas pendant l'attraction mais avant, pendant que j'attends". Et quand il monte enfin dans une attraction, il a ses petites astuces ("Je n'ai jamais enlevé mon écharpe rouge de ma vie, mais dans certaines attractions, je la noue, pour qu'elle ne s'envole pas"). 

Bref, il adore Disney. Pour Barbier, c'est même "l'un des faits culturels majeurs de l'Occident au 20e siècle." Une parenthèse enchantée dans un monde de plus en plus dur : "Vous entrez dans un univers, vous laissez à la porte le reste du monde, le taux d'inflation, le taux de chômage, l'insécurité, les immeubles en béton, les voitures qui polluent, tout ça, c'est terminé. Vous êtes dans un univers qui est une bulle".

Sauf que la bulle a éclaté. Samedi 3 juin, près de 1 000 salarié·es (appelés "cast members") ont défilé dans les allées du parc pour dénoncer leurs conditions de travail et réclamer une hausse des salaires. 

Dans leParisien, le Monde, Mediapart, de nombreux salarié·es témoignent de leur baisse de pouvoir d'achat, des sous-effectifs, et de la trop grande flexibilité des plannings qui compliquent la vie familiale. Tous assurent que leurs conditions de travail se sont dégradées depuis quelques années, avec le Covid et surtout l'inflation. "Quand je suis arrivé il y a 6 ans, un plein d'essence me coûtait 60 euros, explique par exemple une employée, qui gagne entre 1 400 et 1 500 euros par mois. Maintenant, il m'en coûte presque 100. Et entre-temps, mon salaire n'a pas bougé".

Si ce type de revendications sociales ne sont pas nouvelles au pays de Mickey (dès l'année de l'ouverture du parc, en 1992, des salarié·es dénonçaient de mauvaises conditions de travail), les téléspectateurs-pitchouns de M6 et C8 ont dû tomber de leur réhausseur. 

Impossible de deviner les mauvaises conditions de travail en regardant ces émissions spéciales, au titre si bien choisi : "Bon anniversaire Disneyland : 30 ans de rêves et de magie" (C8), "Les trente ans d'un rêve toujours plus grand" (M6). Et pourtant, c'est pas faute d'y avoir croisé des employé·es

La grande famille des "cast members"

En 2022, les caméras de M6 ont par exemple suivi Morgane, une employée exemplaire. Le matin, elle dépose son fils à la crèche, avant de partir travailler à Disneyland Paris dans la bonne humeur…

Adepte du covoiturage, Morgane s'arrête une première fois en chemin pour prendre une collègue, Mallaury qui n'est autre que... sa sœur.

Elles reprennent la route avant de récupérer deux autres collègues. Qui est-ce d'après vous ?

Allez, tous ensemble...

Oui, pour fêter les 30 ans de la magie de Disney, M6 a carrément trouvé une famille complète qui travaille pour Mickey. Un vrai bonheur : "C'est agréable d'arriver comme ça, on se dit que tout le monde n'a pas cette chance-là (...). Y a des gens qui arrivent en vacances et nous, on arrive au travail, c'est marrant."

Une famille épanouie qui voue une véritable passion à l'univers de Disney. Il suffit de voir leur intérieur, c'est un véritable musée aux grandes oreilles : moquette, boules à neige, peluche géante, poignées de tiroirs, Mickey est partout.

Des employé·es modèles, on en a vu dans ces soirées spéciales 30 ans. Et ils sont unanimes : bosser pour Mickey, c'est un "rêve", un "big dream". Que l'on soit cadre, danseur ou simple employé stationné à l'entrée du parc.

Pour le producteur du spectacle nocturne par exemple, tout ce qu'il fait, c'est "dream bigger", "c'est rêver plus loin, plus grand" en composant des chansons "pour que les gens regardent vers le futur, aillent vers l'avant, believe in your dream."

Pour Mathieu, 36 ans, danseur Disney depuis sept ans, participer au spectacle, "c'est un rêve d'enfant qui se réalise, qui se concrétise et c'est magique". Certes, la voix off de C8 précise qu'avec "quatre spectacles par jour, le rythme est soutenu" mais elle ajoute aussitôt que "le jeune homme ne s'en lasse pas".

Même rêve éveillé pour la danseuse Katarina : "J'ai toujours rêvé de danser à Disney (...). Toute cette magie, ça donne envie de participer, de donner cette joie aux enfants".

Tant de rêve et de magie, dans un milieu pro, c'est presque émouvant. D'ailleurs, le groupe américain ne fournit pas des emplois, il "transforme la vie et le destin de milliers de Français", explique M6. Disney, c'est même une "grande famille", qui ne demande qu'à s'agrandir.

Pôle emploi version Mickey

Tout le monde veut travailler à Disney. Question de prestige, selon un expert de C8 : "La France, c'est Versailles, c'est le Louvre, c'est Chambord, et aujourd'hui, c'est le château rose de Marne-la-Vallée (sic)". Mais comment y entrer ? Dans l'émission de M6 (qui vient d'être rediffusée sur Gulli ce jeudi 7 juin), on a pu suivre le parcours complet d'Antonin, un jeune homme de 25 ans qui postule à un emploi de serveur. Aucune étape du processus de recrutement ne va nous échapper. Ça commence par l'entretien :

Recruteur : "Qu'est-ce qui fait que je devrais vous dire oui, à Disneyland Paris ? Pourquoi est-ce qu'Antonin sera meilleur que la personne que j'ai vue juste avant et la personne que je vais voir juste après ?"

Antonin : "Parce que je suis une personne motivée, j'ai vraiment envie de travailler à Disneyland Paris parce que pour moi, c'est un rêve". ("Rêve", mot compte triple).

Verdict de la voix off : "Antonin vient de décrocher un CDI à 1640 euros brut par mois. Il est sur un petit nuage". Tu m'étonnes, quel salaire ! Et encore, il n'a pas tout vu. "Disney lui met à disposition un studio dans une résidence, située à 15 minutes de bus de son travail", poursuit la voix off. Enfin "à disposition", il va tout de même payer 500 euros pour 18m².

Et comme il s'agit d'une résidence gérée par Disney, les règles sont strictes. Exemple ? Si une deuxième personne dort dans son palace avec lui, il sera facturé de 10 euros supplémentaires par nuit. Royal.

À aucun moment, les journalistes de M6 et C8 ne s'interrogent sur les salaires, les logements ou les conditions de travail. Au contraire, la voix off est plutôt fascinée par le système Disney. Notamment lors de l'ultime étape du recrutement.

Tenez-vous bien, chaque employé de Disneyland Paris passe par l'étape de la "tradition". Des journées d'intégration où l'on s'assure que les nouveaux employé·es vont bien entrer dans le moule. M6 a suivi la journée d'intégration d'Antonin animée par… Mallaury, la soeur de Morgane (vous savez, la famille modèle de quatre personnes qui travaillent toutes pour Disney).

Au cours de la journée, Mallaury va évidemment raconter le parcours de sa famille, sa sœur, sa mère, son père. Et même plus : Disney, ce n'est pas seulement un job familial, c'est aussi la promesse de rencontrer l'amour. "Vu le nombre de cast members qu'il y a ici, vous vous doutez bien que c'est un site de rencontre géant. Donc ma sœur a rencontré son mari, puis moi j'ai rencontré le mien, explique-t-elle. Du coup, on est six cast members et depuis deux ans et demi, un bébé Disney".

Chargée de motiver les troupes, Mallaury en profite pour rappeler l'essentiel de la maison : "Vous allez vivre des moments magiques, il y a certaines choses, vous n'auriez jamais pu les vivre en dehors de cette entreprise-là." Comme par exemple la surprise finale. Vous voyez venir la scène ?

"Je vais vous demander mesdames et messieurs de tous vous lever, s'il vous plaît. Est-ce que vous êtes prêts ?", demande Mallaury. Antonin, au premier rang, est prêt et sans doute impatient tant les promesses s'accumulent (un CDI à 1600 euros brut, une chambre de 18m² et la possibilité de rencontrer l'amour).

Mickey, c'est lui qui vient apporter le badge des nouveaux "cast members"...

"Cela peut paraître bizarre, mais dans le groupe, personne ne songe à se moquer de la situation", commente la voix off de M6 sans imaginer une seule seconde qu'ils ne disent rien sans doute pour ne pas perdre leur emploi avant même d'avoir commencé. Des emplois mal payés, si l'on en croit le millier de grévistes, dans une entreprise pourtant florissante. L'an dernier, Disneyland Paris a réalisé un bénéfice record de 47 millions d'euros.

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