10 jours de confinement avec Pernaut, Bouleau, etc

Sherlock Com' - - Plateau télé - 32 commentaires

On a tout coupé. Exit Twitter, Facebook, Mediapart, Le Monde, ASI, Le Canard et tous nos fils d’actualité habituels. Lundi 16 mars 2020, Emmanuel Macron a décrété le confinement. Depuis cette date, nous nous sommes imposés un autre confinement pour répondre à cette question : comment est-on informé aujourd’hui en ne regardant que les journaux télévisés les plus suivis de France, les 13h et 20h de TF1 ? Dix jours enfermés avec Pernaut, Bouleau, et leurs ami.e.s, Martine, Didier, Hélène et Marc. Oui, jusqu'au jeudi 26 mars, nous avons partagé le quotidien de 8 à 10 millions de téléspectateurs qui s’informent en prenant des nouvelles d’illustres inconnus, sans réelle mise en perspective. Une expérience déroutante, surtout quand on a réalisé tout ce qu’on avait loupé.

Générique.

Nous sommes le mardi 17 mars, Jour 1 du confinement…

Euh, où est passé notre ami Jean-Pierre qui était là la veille?

Mais nan… Pernaut s’est fait la malle à la campagne !

Confiné chez lui avec des jonquilles, notre Jean-Pierre de 69 ans a laissé la place à son clone beaucoup plus jeune, Jacques Legros (68 ans) pour tenir la boutique pendant ces prochaines semaines.

Une boutique que vous connaissez bien (rappelez-vous cette chronique) et qui permet de prendre des nouvelles d'Hélène, 95 ans (qui fait son piano), Myriam (qui désherbe), Didier (qui bèche),Marc (qui jardine).

Sans oublier “Martine, devenue une experte en ménage”. On imagine la conf de rédac : "Euh les gars, qui va filmer Martine faire son ménage ?"

D’illustres anonymes dont la vie passionne environ 8 millions de téléspectateurs confinés depuis dix jours.

La recette du corona-13h : un sujet négatif, puis trois positifs

Un JT du 13h sur TF1, c’est un savant mélange de micro trottoirs, de témoignages du quotidien et de traditions traditionnelles. Et en période de crise sanitaire ? Des nouvelles de soignants, peu de chiffres et un objectif : rassurer. Jeudi 19 mars par exemple, à l’exception du manque de masques (2ème sujet), tout le reste est centré sur la bonne organisation des crèches (sujet 1), et la bonne préparation des hôpitaux à Nancy (3), Lille (4), et Tremblay en France (5).

Le lendemain, on s’inquiète un peu plus. Le JT s’ouvre sur la fatigue des soignants, le manque d’équipement. Mais heureusement, c’est le 13h: s’ensuivent de nouveau trois sujets sur la bonne préparation des services hospitaliers : Mulhouse (avec l’installation de “l’hôpital de campagne”), Aurillac (avec le double circuit des patients pour isoler les positifs au covid-19) ou alors Colomiers, en Haute-Garonne (avec l’installation de 30 médecins libéraux dans un gymnase pour bien accueillir les patients).

Chez Jean-Pierre Le Confiné

Dans ce contexte de confinement forcément anxiogène, le téléspectateur du 13h doit être inquiet, mais pas trop. Il faut rassurer mamie. Et qui est le mieux placé pour la rassurer ? C’est Jean-Pierre Le Confiné. 

Tous les jours, Pernaut est en direct de chez lui pour la séquence “Le 13h à la maison”. Respirez un bon coup, on va se détendre…

Chez Jean-Pierre Le Confiné, il n’y a que des confinés qui vivent bien la situation. A commencer par les journalistes de TF1 en région : chaque jour, un correspondant nous ouvre les portes de son domicile pour raconter son quotidien. Et les rôles sont bien définis, les journalistes-mamans à la cuisine, et les journalistes-papas dans le jardin ou en vadrouille pour faire les courses.

C’est ça le JT de 13h,  du quotidien très quotidien.

Sans oublier les conseils de stars en fin de JT. Au fait, faut rester confiné ou pas ? “Oui, restez chez vous”, nous demande Jean-Pierre Foucault.

Mais genre, toute la journée ? “Oui, c’est tellement important”, confirme Alessandra Sublet.

Mais pourquoi ? “Pour que ce virus disparaisse le plus vite possible”, précise Denis Brogniard de Koh-Lanta.

De bons conseils donc et quelques tranches de rigolade. Car on a beau avoir coupé Twitter pendant dix jours, on a quand même eu le droit à notre petite dose de blague sur les réseaux sociaux avec le zapping de Pernaut.

Au 13h, on se rassure donc comme on peut.  Mais à 20h, on ne plaisante plus. Le JT de Bouleau est beaucoup plus préoccupant. Si on voulait mesurer le moral d’un téléspectateur de TF1 pendant ces dix jours, ça pourrait ressembler à ça :

Il est 20 heures, voici les titres...

Premier constat : le Coronavirus a fait voler en éclat tous les gadgets du 20h censés enrayer une baisse d’audience depuis 20 ans. Fini la 3D pour expliquer…

Aujourd'hui, quasiment toutes les rubriques se font assises sans infographie.

Fini également le présentateur debout pendant la moitié du JT...

Désormais, Bouleau est tout le temps assis. L’heure est grave.

Ça peut paraître un détail, mais on imagine les débats interminables pendant la conf de rédac : "Non, mais les gars, on arrête la 3D et les claquettes, on va juste faire un JT".

Finies les claquettes donc. Mais vive les duplex ! Mention spéciale à François-Xavier Ménage, élu journaliste le moins confiné de France…

Le virus progresse à 20h, mais faut bien être attentif

Tous les soirs, Gilles Bouleau fait le point sur le nombre de contaminés, de décès et de guéris. Parfois avec ce panneau.

Et parfois, simplement en off, sans infographie.

Un décompte sur lequel il s’attarde peu, enchaînant rapidement sur un reportage dans un hôpital ou un Ehpad. Un décompte très secondaire donc, et peu pertinent : car ces chiffres ne montrent pas l'évolution, c'est un instantané. On peut rarement suivre la progression du virus. Et les rares fois où le JT s'intéresse à la progression de l'épidémie, ça donne ça :

Le virus progresse donc, mais à quelle vitesse ? Pour bien comprendre le caractère exponentiel des contaminations, il y a bien une représentation claire : c'est la courbe. Or, il n'y en a quasiment jamais au 20h.  Par exemple, vous ne verrez pas ces courbes, notamment publiées par Mediapart, qui comparent les situations entre les pays et montrent l’évolution de la diffusion de la maladie sur plusieurs jours…

Avec TF1, on n’avait pas compris que la France suivait, à ce jour, exactement la courbe de l’Italie… Trop anxiogène sans doute.

Médecins vs Virus

Au-delà de ces représentations, que retenir de ces dix jours de 20h ? Le manque de masques, de gel hydro-alcoolique, le respect du confinement, la chloroquine, les déplacements de malades d’une région à l’autre, la situation critique dans les Ehpad sont très largement couverts. 

Dans ces JT, la parole est essentiellement donnée aux soignants (médecins, infirmiers et infirmières, pharmacien, aide-soignante et tout ce que la France peut compter en personnel médical). On les a vus dans des reportages, en duplex ou sur le plateau…

Et dans ce combat “médecins vs virus”, le politique est totalement absent. A l’exception des déclarations d’Emmanuel Macron, d’Edouard Philippe et d'Olivier Véran, tout le reste a disparu. L’Assemblée nationale ? Connais pas. Ministres ? Pschiittt. Les responsables de l’opposition ? Pas vu.

Par exemple, on est tombé de notre chaise à la sortie de notre confinement médiatique quand on a découvert la polémique Buzyn. Au premier jour du confinement, le 17 mars, l’ex ministre de la santé a sous-entendu, dans une déclaration au journal Le Monde, qu’elle a averti très tôt Macron et Philippe que les municipales ne pouvaient pas avoir lieu à cause du coronavirus. Elle n’a pas été entendue et a qualifié ces élections de “mascarades” dans un contexte où “il va y avoir des milliers de morts”.

Pour le téléspectateur de TF1, la polémique Buzyn n’existe pas.

Mais il y a mieux : en remontant nos fils d’actu qu’on avait délaissés pendant 10 jours, on a réalisé que les JT de la chaîne avaient largement sous-traité le vote de la loi sur l’état d’urgence sanitaire.

Oui, le dimanche 22 mars, quand Le Monde titre là-dessus, et le lendemain, quand Mediapart souligne les questions que posent ce texte…

...il n’y a rien dans les JT de TF1. Rien dimanche 22 mars, rien lundi 23 mars..... Et c’est seulement le mardi 24 mars, dans les 10 dernières minutes du JT, au détour d’une question de téléspectateurs sur l’imposition de RTT par son employeur qu’on nous glisse que… “le droit du travail a été temporairement assoupli pour les RTT”. Rien de plus.

Et le lendemain, en 14e sujet, au bout de 50 min de JT, on finit par apprendre que “25 ordonnances ont été publiées aujourd’hui, certaines auraient été inenvisageables en temps normal. Par exemple, la possibilité de travailler jusqu’à 60 heures par semaine…”

Autant vous dire que ce n’est pas ce que retient le téléspectateur de TF1 qui s’est mangé, auparavant, 13 sujets sur les hôpitaux, les pompiers, les Ehpad. Ils sont joueurs avec la hiérarchie de l 'info chez TF1.

Mulhouse, son hôpital de campagne...

Et puis, il y a les feuilletons dont on peine à comprendre l’enjeu en ne regardant que le JT. C’est le cas de la construction de l’hôpital de campagne de Mulhouse. 13h et 20h ont suivi pas à pas la construction de cet hôpital militaire, monté sur un parking, pour soulager l’hôpital débordé. Pendant une semaine, jour après jour, boulons après boulons, bâche après bâche, on a suivi ce feuilleton. Avec un message clé : les militaires sont appelés en renfort.

Un enjeu important, qui explique le déplacement de Macron et une déclaration diffusée au journal de 20 heures…

Un enjeu important ? Cet hôpital peut accueillir 30 malades. Oui, 30.. Pourquoi les 13h et 20h ont-ils consacré autant de temps à la construction d’une structure qui ne peut accueillir que 30 personnes, au moment où le chiffre officiel des contaminations atteint les 30 000 personnes ? A part rassurer les téléspectateurs, en leur répétant que l’armée va nous sauver, on ne voit pas. C’est un symbole, l’armée au secours des militaires, surtout à Mulhouse, où la situation est critique depuis des semaines.

Tout un symbole donc pour le JT et Macron. Mais les lecteurs du Canard l'ont sans doute perçu différemment. Car à la sortie de notre confinement médiatique, en repassant par le kiosquier, on a compris à la lecture de cet article :

Le pouvoir et les JT en ont fait des tonnes sur cet hôpital de trente places. Mais en réalité, le Service de santé des armées est dans un sale état. Trois rapports de plusieurs centaines de pages, publiés entre 2013 et 2019 par la Cour des comptes et le Haut comité d’évaluation de la condition militaire dressent un bilan préoccupant du service. Les effectifs et les moyens ont été réduits, alors que les opérations militaires, notamment l’engagement au Sahel, sont toujours aussi nombreuses. Résultat ? “Les limites que le Service rencontre en termes de ressources humaines l’ont conduit à diminuer son soutien à des activités en métropole”, peut-on lire dans un rapport de novembre 2018. Pire : “dans les déserts médicaux, le Service ne peut pallier le déficit en cabinets médicaux”. Dans ces conditions, pas sûr que les militaires puissent pallier la saturation des hôpitaux. Mais ça, peut-être que les téléspectateurs de TF1 l’apprendront dans une, deux ou trois semaines, en fin de JT, lors d’une séquence pédago ou au détour d’un lancement sur la mobilisation phénoménale à Quimper, Lille ou Ajaccio... 

Pour nous, le confinement médiatique prend fin. L’autre confinement, le vrai, continue. Courage les amis et soyez prudents.

Devinette

Parce qu’on n’a pas réussi à insérer cette capture dans la chronique, on ressuscite la devinette. Lors de nos visionnages, on est tombé sur un témoin qui porte le nom d'un célèbre éditorialiste. De qui s'agit-il ?

Et la réponse est... ici
(Le gagnant(e) a reçu une jonquille)

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