Yassine Belattar, obsession (de la télé) française

Daniel Schneidermann - - Intox & infaux - Humour - Obsessions - 68 commentaires

Qui n'a pas eu sa part de Belattar ? De la visite "historique" d'Emmanuel Macron au Maroc, ce n'est pas le revirement français sur le Sahara occidental que l'on retiendra, ni les négociations sur les quotas de renvois des migrants sous OQTF. C'est la présence, au sein de la délégation française de 122 personnes, du "repris de justice" (Pascal Praud),  de "l'humoriste controversé" (toutes chaînes) Yassine Belattar.

A chaque chaîne d'info son petit morceau de vrai grief, son reproche impardonnable, son rappel biographique du Franco-marocain de 42 ans. Toutes chaînes confondues, est d'abord ainsi rappelée -légitimement- sa condamnation en 2023 à quatre mois de prison avec sursis pour menaces de mort, pour cause de différend commercial, contre le metteur en scène Kader Aoun. "À chaque fois que tu es à Paris, regarde derrière toi, t’as entendu ? C’est une menace, c’est la guerre, je vais te planter !" a lancé l'éruptif humoriste à Aoun, entre autres amabilités, selon une écoute téléphonique citée par Marianne, qui a assisté à son procès. Mais ce n'est pas tout.

pantalon de jogging

Comme il se doit, c'est CNews (chaîne qui emploie pourtant, ou a employé, les "repris de Justice" Eric Zemmour et Jean-Marc Morandini) qui donne le ton. C'est elle, la première, qui signale la présence de l'individu au sein de la délégation. Image à l'appui, dans laquelle on le voit, au départ du vol, sur la piste de l'aéroport, en discussion apparemment familière avec le ministre des Armées, Sébastien Lecornu. C'est ensuite la même chaîne qui va lancer chaque épisode du feuilleton. D'abord, Bellatar porte un pantalon qui ressemble à un pantalon de jogging ! "Pas très approprié pour saluer le roi, commandeur des croyants" déplore le journaliste Gauthier Le Bret. Interrogé par CNews, l'entourage de Lecornu prétend que le ministre l'a "pris pour un technicien". Quelle honte ! L'intéressé met le pantalon du crime en vente sur les réseaux. Quel culot ! Macron prétend que le scandale est anecdotique. Quelle infâmie !

Pour sa part, LCI dégaine Caroline Fourest, chroniqueuse sur le plateau de David Pujadas. Cette invitation, selon elle, "n'est pas une surprise pour les gens bien informés", notamment les lecteurs de son journal Franc-Tireur, et les spectateurs réguliers de ses chroniques sur LCI. C'est ce "mauvais génie", à la trajectoire "un peu à la Dieudonné", à qui elle reconnait certes "talent et verve"  qui s'est mis à "jouer avec le deux poids deux mesures", et à s'en prendre dès 2015, outre à elle-même, à "des humoristes comme Sophia Aram, à une époque où on était tous sous protection policière, et ça nous a beaucoup compliqué la vie"

Certes, reconnaissent les plus fins observateurs, l'humoriste n'est pas lui-même soupçonnable d'islamisme, sinon au second degré. Fourest : "Il est capable de rire du terrorisme, vous dire qu'il n'est pas antisémite, mais dans la même phrase, de vous dire "moi j'aime les Juifs, hein, je veux faire de la télé". Mais cet humour lui-même ne le rend que plus dangereux. L'essayiste Céline Pina, sur CNews"Belattar c'est la zone grise. L'endroit où les Islamistes pénètrent la communauté musulmane pour exercer sur elle une forme d'emprise. Les VRP de l'islamisme ne sont pas eux-mêmes des islamistes. Il faut des demi-sels".

S'il ne l'est pas lui-même, Belattar est néanmoins islamiste par association pour cause de proximité, rappelle Caroline Fourest, avec l'ex-Collectif contre l'islamophobie en France" (CCIF), "collectif dissous après l'assassinat de Samuel Paty parce qu'il avait fait toute la campagne pour mettre une cible en islamophobie dans le dos de Samuel Paty",  et dont Belattar"a animé un dîner en face du CRIF". Arrêtons-nous une seconde sur ce raccourci typiquement fourestien. Ce que la chroniqueuse ne précise pas, c'est que le dîner de gala en question date de 2015, comme le rappelle en 2018 un grand portrait du Monde. La dissolution du CCIF date, elle, de 2020, sans qu'aucun élément, selon Libération, n'établisse la complicité de l'ex-CCIF dans la campagne de calomnies lancée par un parent d'élève contre le professeur d'histoire décapité  de Conflans Sainte-Honorine. 

 Quant à BFM, elle reçoit en direct "l'humoriste controversé", pour une interview-pugilat, l'animateur Benjamin Duhamel ayant rappelé en préambule les éléments à charge (dîner du CCIF et condamnation pour menaces de mort).

Macron visé ?

De quoi cette obsession est-elle le nom ? D'une indéniable islamophobie, d'abord (condamné, lui, à quatre ans d'emprisonnement avec sursis pour abus de faiblesse, le photographe François-Marie Banier, autre invité présidentiel au Maroc, n'a pas subi des attaques aussi violentes). Mais est-ce vraiment seulement Belattar qui est visé ou bien, à travers lui, Emmanuel Macron ?  A l'unisson de Marine Le Pen -"Rarement un chef d'Etat n'avait autant dégradé l'image de la France"- c'est toute l'éditocratie télévisée qui ajuste cette "invitation contre nature" (Gilles-William Goldnadel, CNews). "Ce président est-il sérieux ? " se demande sur RTL le directeur du Point Etienne Gernelle, en mixant dans un cocktail-maison un doigt de Belattar et trois doigts de milliards de dette financière, tandis que pour Fourest, cette invitation "révèle l'inconséquence, et même l'inconsistance présidentielle sur ces sujets". "On a un président qui s'effondre narcissiquement devant nos yeux. Il est en train d'humilier la France et les Français à travers son image"  analyse sur CNews l'essayiste laïciste radicale Céline Pina.

Comme si désormais tous les coups étaient lâchés contre un président, protégé et adulé sept ans durant par l'éditocratie des télés privées, de crise des Gilets jaunes en réforme des retraites, et qui n'a jamais été si durement attaqué que depuis la dissolution et ses suites. Et aussi depuis que, réduit au pouvoir de la parole, il se démarque, erratiquement il est vrai, de la guerre israélienne en Palestine et au Liban, proposant d'abord de cesser les livraisons d'armes à Israël (avant d'expliquer que cette proposition ne s'applique pas à la France), rappelant ensuite en Conseil des ministres, selon des fuites non démenties, que Israël a été créée par l'ONU, et enfin taxant l'offensive israélienne au Liban de "barbarie". Contre Macron, désormais, tout est bon ?





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