Retraites : au bout des "bougés", le chemin ?
Daniel Schneidermann - - Obsessions - 134 commentaires
Enfin un "bougé"
. Depuis le temps qu'on le guettait sur les chaînes d'info, voici un authentique "bougé"
(vedette lexicale du moment). Dans une interview au Parisien
, la ministre démissionnaire de l'Education, ex-première ministre, Elizabeth Borne, assure qu'une suspension de la réforme des retraites peut être "examinée"
, si c'est "la condition de la stabilité"
.
Immédiatement, à en croire Le Monde
, une fraction non négligeable du "bloc central"
(à moins qu'il s'agisse du "socle commun"
) fait sécession sur les boucles WhatsApp dédiées. Tendre la main à la gauche, oui, mais de préférence une main vide. Cette suspension coûterait "des centaines de millions en 2025, puis des milliards en 2026"
avance dès le matin sur France Inter Roland Lescure, ministre démissionnaire des finances, tout démissionnaire qu'il soit.
Emotion identique toute la matinée sur BFM. Madame 49.3 sabordant sa propre réforme ? S'est-elle avancée sans l'accord de l'Elysée ? Alain Duhamel (qui a connu, rappelle-t-il rituellement, la IVe République et le "régime des partis") : "c'était inimaginable jusque très récemment, mais aujourd'hui tout est possible de la part de n'importe qui
". Neila Latrous, journaliste politique (qui n'a pas connu la IVe République) : "il y en a un qui a les boules ce matin, c'est Olivier Dussopt"
(ministre du travail à l'époque de l'adoption de la loi, NDR). Sa source ? Une confidence personnelle ? Non. "Une boucle des anciens députés de 2017"
, a balancé Le Monde
. Il n'est pas le seul. "Selon l'entourage d'Edouard Philippe, jamais Horizons ne sera d'accord avec la suspension"
(source, autre boucle, non déterminée).
Mais, au delà du "bloc central"
et du "socle commun"
, c'est le pays entier, à en croire le plateau de BFM, qui se soulèverait contre la bombe Borne. Outre les mêmes boucles que les collègues, Apolline de Malherbe a des sources béton, en provenance directe de la France profonde : "Depuis hier, très nombreux auditeurs me disent, la suspension c'est trop tard."
Notamment "une sexagénaire, qui me dit, j'ai 62 ans, je suis donc hyper concernée, mais j'ai deux enfants, et je préfère donc continuer à travailler un peu plus pour mes enfants"
. Ce magnifique témoignage ne vaut-il pas tous les sondages, qui assurent unanimement l'inverse ?
Interrogée en direct à Marseille sur le vieux port par BFM, "Fadela", par exemple, qui confesse ne pas comprendre grand chose aux "bougés"
du jour, se révèle finalement heureuse de cette possible suspension ("même si d'autres ne sont pas du même avis"
ajoute pertinemment l'envoyé spécial à Marseille). Ciel, un témoignage qui contredit celui de la sexagénaire d'Apolline ! Le présentateur : "c'est vrai que c'était important de l'entendre, mais cette question du coût ne peut pas être balayée d'un revers de main"
. D'autant qu'un bandeau du bas de l'écran annonce que "Bercy" vient de préciser les évaluations matinales du ministre démissionnaire Lescure : "la suspension coûterait 500 millions en 2026, et trois milliards en 2027"
.
Mais alors, quelle mouche a piqué l'irresponsable Elizabeth ? Heureusement, à l'heure précise où il doit recevoir le PS, débarque Sebastien Lecornu, dans la cour de Matignon. Ton positif : on va trouver un "chemin"
(seconde vedette lexicale après le "bougé)
tout le monde est de bonne volonté. Mais la bombe Borne ? "On voit beaucoup de choses dans la presse, et notamment hier..."
assure-t-il, elliptique. Est-ce à dire que la bombe n'est pas une bombe ? Exactement ! interprètent les deux journalistes politiques, Neila Latrous et Marie Chantrait, qui campent avec leur détecteur de "bougés"
dans la tête du Premier ministre démissionnaire. Et reçoivent au même moment le même message sur leur smartphone : "cette déclaration est à destination de l'étranger"
. Efficacité des boucles WhatsApp ! D'ailleurs puisqu'on parle de "l'étranger", François Clémenceau éditorialiste international, à propos de l'âge de la retraite: "quand on ouvre les fenêtres et qu'on regarde nos voisins européens, c'est surréaliste."
Et alors ? Enfin à 20 Heures, voici le mutique Premier ministre intérimaire sur France 2, devant Léa Salamé qui lutte vaillamment contre une extinction de voix. Suspension ou pas suspension ? "Il faudra trouver un chemin pour que le débat ait lieu".
Et demain il fera jour.