Pierre-Guillaume Mercadal, étoile montante des "lol fafs"

Daniel Schneidermann - - Humour - Obsessions - 57 commentaires

Sur les vidéos de la visite chahutée d'Emmanuel Macron au Salon de l'agriculture, le 24 février, on ne voit que lui, géant à béret de plus de deux mètres, fendant une mer de CRS, bras en l'air, en criant "on avance, on tape pas !". Filmée de face par CLPresse, la vidéo de l'exploit a par exemple impressionné Alexandre Benalla, et suscitée moult commentaires admiratifs de figures et de comptes de la fachosphère, de Laurent Obertone, à  Livre Noir

Sur d'autres images, diffusées par BFM, on le distingue, (au fond, bras levés) suivi par un petit cortège de "bonnets jaunes" de la Coordination rurale, syndicat proche de l'extrême-droite.

Si Benalla, manifestement, ne le connait pas (encore), la notoriété de Pierre-Guillaume Mercadal (c'est son nom) est bien plus importante dans son département du Tarn-et-Garonne, et surtout dans le village de Montjoi où il exerce la profession d'éleveur de cochons laineux.

"L'affaire Mercadal" commence, à Montjoi, par la revendication d'un droit de passage, pour son troupeau, à travers la propriété d'un résident secondaire britannique. La mairie du village prend le parti du résident secondaire, implanté de longue date (Mercadal, lui, s'est installé sur la commune voici cinq ans). C'est le début d'une longue série de vidéos de harcèlement de l'éleveur à l'égard du maire, Christian Eurgal, harcèlements dont l'acmé est la dépose d'un cochon mort sur le bureau de l'édile (comme le racontait Loris Guémart dans un récent Proxy). Ce palmarès avait déjà valu à Mercadal, au cours du récent mouvement des agriculteurs, au moins une invitation à CNews.

La Dépêche du midi ayant pris le parti du maire de Montjoi, Mercadal élargit le champ de son combat. D'abord, au responsable départemental police-justice de La Dépêche, Max Lagarrique, lui-même insulté et pris pour cible (il nous le racontait ici). Puis, au patron du groupe de presse, l'ancien ministre Jean-Michel Baylet. La semaine dernière encore, Mercadal poursuivait Baylet sur le marché de la ville dont il est le maire, Valence d'Agen, poursuite dûment filmée, comme d'habitude. Echantillon d'apostrophes :  "Vous vous y connaissez en violation de loi, c'est votre grand domaine !" "Portez plainte, M. Baylet !" Et aussi : "C'est plus facile avec les femmes et les petites filles" "Le viol ça vous vous y connaissez", allusions aux accusations de pédophilie contre Baylet, plainte classée pour prescription. Ce nouvel épisode de harcèlement a valu à l'éleveur 46 heures de garde à vue, et un contrôle judiciaire "strict", assorti d'une obligation de soins, qui ne l'a néanmoins pas empêché de monter à Paris. Il devrait être jugé le 25 juin prochain.

Même si tous ses exploits sont scrupuleusement postés sur son compte Instagram, la notoriété de l'éleveur de cochons laineux serait restée locale, s'il n'avait pas reçu, en mai 2023, le renfort de plusieurs soutiens. D'abord, pour l'anecdote, celui de l'ex-candidat à la présidentielle Jean Lassalle, sans doute au nom de la ruralité menacée. Mais surtout de l'influenceur d'extrême droite Ugo Jil Jimenez, dit Papacito, qui a consacré à son combat contre le maire de Montjoi une longue video. 

Représenté sous un déguisement de fouine, le maire de Montjoi y est notamment pourchassé par plusieurs SUV dans une carrière, avant d'être capturé, sodomisé dans le coffre de l'un des véhicules, et abandonné pantelant sur le sol.  A la suite de cette video, le compte YouTube de Papacito a été supprimé, mais on peut facilement la retrouver en ligne. Pour mémoire, Papacito, voici quelques années,  avait produit une autre  video-tutoriel "humoristique" dans laquelle était (déjà) mise en scène l'exécution au couteau d'un militant de gauche, ainsi que des "chasses aux sangliers", les sangliers représentant des migrants.

En quelques mois, Mercadal s'est ainsi intégré dans la petite communauté des "lol fafs", influenceurs "humoristiques" d'extrême droite (voir l'excellente liste dressée ici par Thibault Prévost). Comme ses camarades, il fait son marché dans les codes du LOL, truffant par exemple ses videos d'émojis de toutes expressions.

A la différence des vidéos de Papacito, celles de Mercadal ne représentent  jamais aucun simulâcre de violence physique. Mais elles baignent dans une atmosphère de menace latente, implicite, d'autant plus glaçante qu'elle contraste avec le ton  calme et pédagogique de l'homme à la moustache et au béret. Mercadal, c'est l'armoire à glace qui voudrait gentiment te convaincre de discuter gentiment avec lui, mais qui peut t'envoyer bouler d'une pichenette à l'autre bout de la pièce, et qui le sait, et qui sait que tu le sais. Avec ses exploits du Salon de l'agriculture (outre la traversée de la mer des CRS, c'est lui qui a forcé les grilles du Salon, exploit lui aussi posté sur Instagram), le personnage a désormais tout pour devenir une figure majeure de la fachosphère.

Accusé pour cette video de "la fouine" d'"incitation à commettre un crime non suivi d'effet", Papacito sera jugé  ce 28 février à Paris. On peut s'y attendre à de longs débats sur les limites de l'humour.




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