Palestiniens : une solution "humaine"
Daniel Schneidermann - - Obsessions - 88 commentaires
Dans le feuilleton du concours Lépine ouvert à Jérusalem (voir l'Obsession
du 3 janvier), sur le thème “mais que pourrait-on faire des Palestiniens de Gaza ?”
l’épisode du jour est résumé par France Info, sous le titre :
"Emigration volontaire" des Palestiniens, retour des colons à Gaza...Les propositions de ministres israéliens d'extrême-droite créent la polémique".
Après le “projet controversé”
de BFM, des propositions qui “créent la polémique”
. Tout le vocabulaire médiatique euphémisant est ainsi appelé à la rescousse, pour faire entrer le délire des nettoyeurs ethniques Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich dans le champ des propositions qui peuvent légitimement être mises en débat, avec du pour et du contre. La fenêtre d'Overton est grande ouverte.
Comme l’a remarqué Elodie Safaris, le titre de France Info
ne reflète néanmoins pas le contenu de l’article. Parole y est largement donnée au chercheur Thomas Vescovi, lequel relativise la portée des délires des deux ministres suprémacistes d’extrême-droite Ben Gvir et Smotrich.
“ Pour le chercheur, si ces deux ministres multiplient les provocations, c’est aussi pour exister politiquement et satisfaire leur électorat, alors même qu’ils ne font pas partie du
cabinet de guerre israélien
, constitué le 11 octobre, quatre jours après les attaques sanglantes du Hamas”
De simples provocations sans conséquence ? Le chercheur remarque pourtant que “L’armée israélienne est en train
"de faire en sorte que certaines zones de Gaza ne soient pas réinvesties par des habitants après la guerre, qu’elles deviennent des zones tampon ou qu’une colonisation se mette en place"
. Ce qui, finalement, converge vers les objectifs affichés par Smotrich et Ben Gvir.
Mais ce n’est pas mon sujet du jour. Mon sujet du jour est un petit mot, allez savoir pourquoi, qui m’a tiré l’oeil dans cet article de France Info
. Le mot “humains”
, sous la plume de Ben Gvir, sur son compte X: “"Nous devons promouvoir la solution pour encourager la migration des résidents de Gaza. C’est une solution correcte, juste, morale et humaine. Nous avons des partenaires dans le monde entier que nous pouvons aider. Encourager la migration des habitants de Gaza nous permettra de rapatrier les habitants (...) du Gush Katif".
Relisez. "Résidents", "encourager"
: on n'est pas plus soft. Et aussi une solution “correcte, juste, morale et humaine”.
La déportation de millions de personnes au Congo ou au Canada serait une solution “humaine”.
Coïncidence, je viens, dans mes lectures, de croiser ce même mot.
Je suis en train de lire Les entretiens de Nuremberg, de Léon Goldensohn (Flammarion, 2005).
Le psychiatre juif américain Léon Goldensohn s’est entretenu librement, dans leurs cellules, avec les criminels de guerre nazis en marge de leur procès, en 1946. A propos de ce qu’ils appellent “les atrocités” (l’extermination des Juifs), c’est un festival passionnant de “je ne savais pas”, “je ne pouvais pas savoir”, "Hitler cloisonnait tout", “personnellement je ne suis pas du tout antisémite, ma femme a un très bon ami juif, et vous pensez bien que si j’avais sû…”
Logiquement, plusieurs de ces hauts dignitaires nazis se défaussent devant Goldensohn de leurs responsabilités propres sur les deux absents du procès, Goebbels et Himmler (suicidés). Et aussi, bien entendu, sur le patron, Adolf Hitler. A l’appui de ces défausses, et pour montrer que l'antisémitisme, et ses conséquences, étaient bien une sorte de marotte personnelle du chef, plusieurs évoquent “le testament de Hitler”.
"des moyens plus humains" (Hitler)
On apprend tous les jours : j’ignorais qu’il existât un testament de Hitler, en bonne et dûe forme. De fait, le 29 avril 1945, à quelques heures de son suicide, le Führer a dicté dans son bunker quelques pages, notamment consacrées à la responsabilité, selon lui, des Juifs dans le déclenchement de la seconde guerre mondiale, guerre qu'il se montre enfin conscient d'avoir perdue. J’en extrais le passage suivant :
“Je n’ai laissé aucun doute sur ce point, que si les peuples européens n’étaient, de nouveau, traités que comme des paquets d’actions par ces conjurés internationaux de l’argent et de la finance, alors il serait demandé des comptes à ce peuple qui est le vrai responsable de cette lutte meurtrière : la juiverie ! Je n’ai pas laissé non plus régner l’incertitude sur ceci que, cette fois-ci, des millions d’hommes dans la force de l’âge ne pourraient trouver la mort, et des centaines de milliers de femmes et d’enfants être brûlés et bombardés à mort dans les villes, sans que le véritable responsable n’ait à payer sa faute, même si par des moyens plus humains”.
“Des moyens plus humains”.
Ne me faites pas dire davantage que ce que je dis ici : les circonstances, le déclenchement, le contexte, l'ampleur, et surtout la clarté de l'intention génocidaire, de l'extermination des Juifs et du massacre actuel des Palestiniens, tout diffère bien entendu. Je note une coïncidence dans l’emploi d'un mot, rien de plus.