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IT
Bah non pas oublier.
Les plaisirs qu'on a aux oeuvres de fiction varient beaucoup, elles supposent des degrés divers d'adhésion et de distanciation, et dans le cas d'Hergé (comme d'autres auteurs à carrières longues) on a tout un spectre d'oeuvres qui s'apprécient différemment. Qui s'apprécient différemment en fonction de la phase dans laquelle elles ont été produites (époque "tintin nazi" versus époque "tintin hippie") et en fonction de la phase dans laquelle ont les consomme (quel est notre âge, quels sont nos savoirs, comment nos sensibilités ont évolué).
Le reproche de naïveté du récit, concernant les premiers Tintin aux intrigues décousues, épisodiques et infantiles, est subjective. On peut se complaire dans ces enfantillages tout en appréciant les constructions complexes des récits ultérieurs - comme on peut aimer Tex Avery et John Le Carré. Il n'y a pas là de véritable problème, parce qu'il n'y a pas là d'enjeu moral.
Le reproche de racisme est là où le jugement devient plus sérieux, plus objectif - et à ce titre, le déni du racisme d'Hergé est irrecevable. Le Congolais d'Hergé est un être inférieur, point barre. Que l'attitude de Tintin et des pères blancs fantasmés par Hergé soit "bienveillante" n'y change rien : désigner quelqu'un comme débile c'est désigner quelqu'un comme débile, quels que soient les "mais on lui veut pas de mal". Les Africains de Tintin au Congo sont de mignons petits animaux (cognitivement inférieurs à Milou) que Tintin est gentil de ne pas chasser en safari, mais cela reste déterminé par les croyances racistes coloniales inculquées à (et par) Hergé. Et Hergé ne s'en sortira jamais entièrement, manifestant encore sa négrophobie à Numa Sadoul en 1975 (il ne laisserait pas sa fille imaginaire épouser un Noir, et se demande si c'est une manifestation de racisme), tout comme son antisémitisme d'après témoins (discours rapporté de discours rapporté, mais il aurait tardivement susurré à un auteur voisin de table lors d'un festival quelque chose comme "Regardez, là-bas... un Juif... il observe....".
Mais ceci étant, il y a quelque chose d'hypnotique, d'intéressant en soi, dans les représentations culturelles reflétées dans la pop culture, et Tintin Au Congo est une plongée précieuse dans le regard des conservateurs belges sur les colonies. Quelque chose de fascinant, de triste, de malaisant et de désarmant d'inconscience. Un autre univers. Dont on retrouve l'écho ailleurs, y compris chez Franquin, de l'Héritage au Gorille à Bonne Mine (bienveillants, paternalistes, déshumanisants, embarrassants - honteux aux yeux mêmes de Franquin pour certains aspects). Tout comme on le retrouve dans le reste de la pop culture consensuelle, de King Kong à Indiana Jones, de Mickey Mouse à James Bond. Tout comme on y retrouve d'autres représentations culturelles déclassées, qui à la fois illustraient (précieux) et contribuaient (néfaste) aux injustices de l'époque : racismes, homophobies, transphobies, sexismes - présentés, justifiés, glorifiés avec poésie, en arrière-plans de récits qui ont leur propre valeur (typiquement, tous les vieux thrillers ou toutes les vieilles comédies qui avaient lieu sur une planète où les femmes devaient se fiancer à 16 ans à un vieux beau select, où les Noirs étaient soit des servants fidèles soit des criminels de bas-fonds, les socialistes des terroristes subversifs de l'enfer ou de Mars, etc). Tant d'oeuvres à apprécier et déprécier par un regard filtrant, et à ne pas oublier pour autant. A contextualiser, à contraster et à explorer en connaissance de cause. Du moins, en connaissance de cause actuelle, en attendant ce que le futur nous y révélera de pire, encore invisible à nos yeux aujourd'hui.
Mais on tourne les pages de Tintin au Congo ou de Mickey Mouse and the Boy Thursday avec un oeil sur le présent et un oeil sur le passé. Entre le cringe rétroactif et l'émerveillement d'époque, comme on voyage dans le merveilleux de l'orientalisme aujourd'hui disqualifié. Comme on voyage dans la peur antisémite dont les affiches vichystes (ou les bandes dessinées étudiées par Pascal Ory) nous rendent les ressentis. On contemple leur imaginaire, et par son attrait : si le monde était comme ça, clair et bien rangé, avec des trolls et des elfes, des ewoks et des wookies, des méchants Juifs des des Grands Enfants Noirs, et la civilisation blanche (héroïque, mâle, chrétienne, belge, britannique ou terrestre donc wasp) trônant au milieu. Aucun de ces récits n'aurait fonctionné s'il n'était agréablement flatteur. Nous sommes le chevalier dans la forêt des diables et des bêtes sauvages, quels que soient ces autres, quel que soit le nous. Cette structure toujours recherchée est d'autant plus nue qu'elle se plaque sur des identités réelles, sur de vrais mensonges, plus criants par leur contraste à la réalité que les pures inventions qui, ne contrastant sur rien, cachent leur discours et leurs influences : un Ewok est un Congolais masqué, on nous prépare le fusil (ou le trône) dans le vide, mais nous sommes prêts à en placer les logiques dans le réel dès qu'on nous désignera ce qui s'y rapporte. Comme nous étions prêts à lire des licornes et des races pliniennes dans les nouveaux mondes avant de nous y rendre.
Tintin au Congo reste un miroir précieux, du passé, du futur, et des autres oeuvres qui en nourrissent l'intemporelle structure en mode texte à trous. Explicite dans sa cible coloniale aujourd'hui inacceptable, il nous force dans sa lecture à une dissociation que nous devons conserver pour des lectures aux cibles moins apparentes ou moins définies. Je pense qu'il reste le meilleur voyage possible dans la tête des colons, à condition d'être encordé à de meilleurs guides que Goddin (mais nous en avons plein autour de nous), et je pense par exemple qu'un Tintin à Gaza de la même eau (il doit y en avoir), lu à la même distance, nous aiderait à la fois à dénoncer cet autre colonialisme et à en saisir les mécanismes de séduction.
Mais bref, non. Cet album ne doit pas inexister.
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AlanV
L'appendice ajouté est certes insuffisant, complaisant, mais ce que Daniel semble avoir oublié c'est que justement ce Tintin nous donne à revoir la version originale (certes colorisée) alors que celle que tous les autres lecteurs de ce fil ont certainement lue, avec le dégoût qu'ils décrivent, était déjà une version édulcorée. Bon, quand ils ont édulcoré, Hergé et Jacobs ont fait avec les stéréotypes de l'époque, et c'est là que c'est criant. Ce qui avait dérangé en 1946 et qui avait été changé c'était:
- la leçon de géographie ("votre pays, la Belgique") transformée en leçon de math
- les noms de lieu, de bateau qui étaient effectivement des morceaux du Congo Belge (cela dérange, car pas universel)
- l'arrivée de Tintin disant "Et voilà l'Afrique"
Et dans les années 70, c'est la mort du Rhinocéros qui dérange donc on refait toute la page. Pour un animal, on est prêt à refaire une page, mais pour des humains non.
Bref, l'intérêt de la ré-édition, si on passe le changement de couverture, c'est effectivement de remontrer ce texte dans sa version originale.
Et si j'avais une critique supplémentaire sur le "contexte" ajouté au départ, des extraits que j'ai pu lire, c'est qu'il ne montre pas assez que les retouches qui ont été faites au court du temps se sont occupées des choses annexes (la leçon, le bateau, etc.) et pas de l'ensemble. On a l'impression que pendant longtemps, cet album, comme celui en Amérique, a été considéré comme tolérable dans l'ensemble complet contrairement aux Soviets : il faisait partie des albums répertoriés au dos avec sa couverture.
Donc malgré tout, je vois un intérêt à l'idée que ces trois albums sortent en version séparée, si cela peut permettre de ne les mettre qu'entre des mains averties. Mais là je m'attends aux cris d'orfraie de ceux que je décris en dessous si on enlève ces trois tomes des éditions principales.
PS: Vous réalisez quand même qu'au même moment, des Marino-Zemmouristes s'offusquent de cette version, car ils en restent à la couverture modifiée et à ce texte d'accompagnement bien gentil? N'allez pas lire les commentaires sur le site du Figaro sur cette version, ils réclament tous le retour à leur version originale (qui n'est pas originale et qui n'a pas disparu).
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Manu
Petit exercice : vous rappelez-vous d’un tube de la fin des années 80, « Coueur de loup ».
Saurez-vous retrouver la petite phrase qui l’empêcherait peut-être de sortir aujourd’hui ?
Le sachant, pensez-vous réussir à ne pas la fredonner la prochaine fois que vous l‘entendrez ?
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pierre34
Je partage totalement les obsessions de Daniel.
J’ai lu par ailleurs dans Tintin au pays des philosophes (Editions Philosophie Magazine, 2011), des points de vues bien plus indulgents sur l’œuvre d’Hergé. Par exemple, Philippe Descola a écrit « Si l’on met de côté les clichés colonialistes de Tintin au Congo – encore faut-il les regarder à l’aulne de l’époque -, l’attitude de Tintin est généreuse et bienveillante, voire militante à l’égard des étrangers notamment lorsqu’il … ».
Et que dire dans le même ouvrage des propos de Michel Serres qui considère Tintin comme un véritable objet de pensée qui « révèle la profondeur de la réflexion morale d’Hergé » !
Il y a du boulot Daniel ! -
@m@lypense
Rien à sauver dans cette réédition, c'est dit ! Mais ne pas hésiter à consulter les anciens albums, même les plus scandaleux car ils témoignent de l'évolution possible d'un homme, de n'importe quel homme, au fil d'une vie. Passer du racisme brutal de Tintin au Congo à l'humanisme d'un Tintin au Tibet ou des Bijoux de la Castafiore, et ceci en une trentaine d'années, je trouve qu'il y a là quelque chose de pas complètement désespérant.
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JEAN FERRUC
L'argent n'a pas d'odeur, point.
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Tatanka
Et pendant qu'on s'écharpe sur Tintin...
Écoutez le dernier Opus de Charles Sannat sur la Guerre des Castes...
https://www.youtube.com/watch?v=sbIB3y4SjTA
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Tom
Dans les années 90, j'ai vu "Tintin au pays des Soviets" être réédité puis colorisé en 2017, puis réintégré à la liste des autres albums (contre la volonté d'Hergé, je crois). Maintenant, c'est au tour de "Tintin au Congo" et "Tintin en Amérique" d'être retravaillés. Comme vous, je ne comprends pas cette volonté de réintégrer ses œuvres problématiques. Enfant, je ne les aimais pas, d'abord parce qu'ils ne sont qu'une succession de gags et non une vraie histoire d'aventure comme les suivants.
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grrrz
Tintin c'est pour Hergé toute une vie à tenter d'effacer les traces les plus flagrantes de sa proximité politique avec l'extrême droite et de son collaborationisme. Il faut rappeler que tintin au début c'est littéralement un scout 'nationaliste'. La plupart des edititions originales sont impubliables parce que truffés de scenes racistes et antisémites (voir en particulier l'étoile mystérieuse publié pendant la guerre qui était viollement antisémite). Bien entendu qu'il en reste des traces. Tintin au congo c'était juste impossible d'expurger le message colonialiste parce qu'il ne serait rien rester. Cet album ne devrait même plus etre publié.
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Factory
Un beau cadeau pour nos chères têtes blondes ! ;-)
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tosh
je rejoins ce qui a été dit, la reedition ne me choque pas , ce qui est dérangeant c'est que ces 12 pages ne reconnaissent pas l'évidence et qu'il n'y ait pas une version complètement annotée de l'album
Le racisme de cette scène de train est tristement contemporaine par ailleurs.
J'ai eu la "chance" de faire un stage chez SpieCapag (spie batignolles) spécialiste de la pose de pipeline avec des projets pharaoniques se déroulant toujours de la même manière a savoir une poignée d'expatriés bien blancs exploitant dans des conditions dramatiques et dangereuses une main d'oeuvre locale pléthorique et sous payée. Il m'a suffit que de quelques repas a la cantine pour découvrir "l'esprit Spie", ses blagues et récits de chantiers ouvertement racistes souvent teintés de nostalgie reac pointant bien sur la fainéantise et la roublardise des locaux, du OSS117 dans le texte. cela remonte certes 25 ans en arrière mais certaines choses n'ont pas encore ou pas complètement changée.
un rapport de FIDH sur un de ces chantiers ici de TOTAL dont le sous traitant pour la pose du pipeline est spiecapag
https://www.fidh.org/IMG/pdf/dissection_birmanie.pdf
a comparer avec le récit marketing propagandiste de spiecapag pour un pipeline d'exon qui file quand meme la nausee.
https://www.youtube.com/watch?v=Mbjo8SPSL8I
https://www.youtube.com/watch?v=Mbjo8SPSL8I&t=725s
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Pseudanonyme
Une réédition ne me choque pas. Ok, y'a que les tintinophiles pour apprécier cet album et ils sont censé l'avoir déjà dans leur collection. Et même moi qui ai adoré tintin étant gamin et qui peut encore en relire à l'occasion, tintin au congo est une daube sans nom, mais je ne suis pas tintinophile. Mais peut être que justement, il peut y avoir de tout nouveaux tintinophiles qui ne l'ont pas encore et qui n'ont pas envie de passer par le vide grenier, surtout si en plus cette réédition bénéficie d'une contextualisation. Le soucis avec cette réédition en fait, c'est bien le fait que cette contextualisation est minable et mal foutue.
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Bartabac
Je trouve que c'est bien cette réédition , je ne sais pas si l'avant propos va servir a quelque chose , mais savoir d'où on vient je trouve ça pas mal , le courage de regarder les choses en face pour éviter de faire les mêmes conneries . Le tout sans culpabiliser .Plutot que de mettre la poussière sous le tapis . Bon après je ne suis pas tintophile , je suis plutôt asterix et prendre des menhirs dans la gueule ça me dérange pas .
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arkaow
Il n'y a pas que Tintin au Congo qui est problématique, il est juste plus naïf dans son racisme. Les arabes sont fourbes et agressifs, les noirs sont bêtes (coke en stock), les juifs j'en parle pas (édition originale de l’étoile mystérieuse). Les femmes n'existent pas à part une qui est insupportable.
Bon... on va dire que c'est un témoignage de son époque, et puis passé les 3 premiers il y a du scénario
En écrivant ces lignes, je m'aperçois que l'étoile mystérieuse a été expurgée de ses infamies, elle. Ça vaudrait le coup de la rééditer, avec un préambule. Histoire de bien témoigner de l'époque. C'est paru en 1942, il s'est peut-être senti obligé.
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Dobenas
Pour revenir à "trois têtes" je me souviens d'une image de colons au Vietnam où l'on voyait des têtes coupées au pied des colons. J'en ai parlé à mon, fils à qui j'avais donné mon livre de Scheindermann. J'avais vu cette image dans la collection de cartes postales d'un ami. Ce qui a bouleversé mon fils ce n'est sont pas la pratique universelle de l'abomination par le colonialisme mais le fait que l'on puisse éditer et envoyer une telle image. Je n'y avait même pas pensé. C'est dire.
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Dacoda
Tout à fait d'accord. C'est d'ailleurs un des albums que j'ai le moins lu et qui m'a toujours semblé être un récit un peu hasardeux...
La scène de la locomotive, je l'avais oublié, est d'une violence...
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MainInvisible
Un très bon raccourci sur la carrière d'Hergé : http://www.memorial98.org/article-10546397.html
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Asinaute sans pseudo a50cd
Pourquoi cette réédition ?Sérieusement ?
...
Quelqu'un.e pour expliquer les bases du capitalisme au faux naïf DS ? Je suis fatigue là...
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MARTIN ta mare.
" Quel authentique tintinophile, quel lecteur ravi de Tintin au Tibet, ou d'Objectif lune, entre autres chefs d'oeuvre, peut prendre du plaisir à ce safari ? Levez le doigt ! "
Sophisme du vrai écossais.
Car un tintinophile, par définition, prends tout. "Right or wrong, my country ! " comme disent les angliches en d'autres circonstances !
Après, qu'il y prenne autant de plaisir que d'autres histoires de Tintin, c'est une autre histoire, mais nécessairement du plaisir, puisque c'est la définition du tintinophile. On pourrait renverser l'argument d'ailleurs : si vous n'y prenez pas de plaisir et que vous lisez Tintin au Congo en vous pinçant le nez, vous n'êtes pas un authentique tintinophile.
Mais est-ce bien grave, après tout, de l'être ou de ne pas l'être ?