Marion Maréchal, pédagogue moderne

Daniel Schneidermann - - Coups de com' - Obsessions - 91 commentaires

C'est une jeune femme moderne, Marion Maréchal. Elle parle bien. Sans haine raciste aucune. Assurément, elle participera à la marche de dimanche contre l'antisémitisme, emmenée par le président du Sénat et la présidente de l'Assemblée, au côté de son ami Eric Zemmour. Lui a été plusieurs fois condamné pour incitation à la haine, mais c'est tout de même son ami. Elle adhère pleinement à l'objectif de rassurer "nos compatriotes de confession juive" en butte à la haine antisémite ou aux blagues de Guillaume Meurice, de les assurer de "toute la protection de la République".

Bien sûr, il y a grand papa. Grand papa, naguère, a eu des mots antisémites malheureux. Il a été lui aussi condamné plusieurs fois. Sans doute ne sait-elle pas bien quoi en penser. Même si elle savait quoi en penser, elle ne saurait trop que s'autoriser à en dire. Tout est piégé dans cette histoire, des pièges d'un autre temps. D'ailleurs Jordan, pièce rapportée de la famille, s'est laissé prendre au piège comme un bleu sur la question de savoir si grand papa était antisémite, le niant un jour, avant de reconnaître le lendemain que oui, grand papa "s'est enfermé dans l'antisémitisme". C'est d'un empoisonnant, ces questions.

Heureusement, ce n'est pas le sujet de ce soir. On parle d'une question actuelle : l'immigration, aujourd'hui, en 2023, et plus particulièrement, comme dit la télévision publique, "comment maitriser l'immigration", alors qu'est discuté un projet de loi prévoyant notamment la régularisation d'immigrés illégaux dans les "secteurs en tension". Rien à voir. Ce n'est pas une question de race ou de religion, pas du tout, c'est une question économique, juridique, une question de taux de chômage, à traiter sans haine, au vu des statistiques, qui ne mentent pas, comme chacun sait.

La voici face à Ibrahima-Kalil, "opérateur logistique" à Rungis, dans les fruits et légumes, originaire de Guinée, sans papiers. Il vient de lancer une grève-surprise des travailleurs sans papiers dans 35 entreprises, avec l'appui de la CGT. Et il confirme sur le plateau que oui, il se lève le matin, sans savoir s'il travaillera huit heures, dix heures ou treize heures. Il va falloir lui parler, à lui personnellement, la télé adore ça, et elle adore la télé, elle y excelle. 

Elle dit : "j'ai rien contre vous et j'entends votre histoire". Elle reconnait qu'il est quelqu'un de très bien, la preuve, "vous vous levez le matin" (sans connaître la durée de sa journée de travail). Elle n'a donc rien contre lui personnellement. En cela, elle diffère des antisémites d'antan, qui avaient vraiment quelque chose  de personnel contre les personnes elles-mêmes, même celles qui se levaient le matin. Aujourd'hui, en France, en 2023, le fait de se lever le matin est pris en compte. C'est un progrès appréciable, elle aimerait qu'on lui en sache gré. "Mais ce qu'il faut que vous compreniez, c'est que pour une personne comme vous qui êtes sûrement quelqu'un de très bien, il y a le risque, en transformant nos frontières en passoires, de faire entrer des personnes beaucoup plus dangereuses. Des délinquants, des criminels, mais aussi potentiellement des terroristes"

Voilà. Les personnes derrière Ibrahima-Kalil ne sont pas simplement dangereuses, mais "beaucoup plus dangereuses". Ce qui suppose que Ibrahima-Kalil lui-même, même en se levant le matin, est tout de même un peu dangereux. Minusculement dangereux si l'on veut, indirectement dangereux, mais tout de même. Elle ne le dit pas ainsi, mais voilà, arrivée au pouvoir, ce qu'elle lui expliquerait patiemment, avant de l'inviter à prendre place dans un avion, à destination de la Guinée. On est tout de même en 2023. Couloir ou hublot ?

Lire sur arretsurimages.net.