Mandat d'arrêt Netanyahu : "est-ce qu'on réalise ?"
Daniel Schneidermann - - Obsessions - 207 commentaires
"S'il vient en France, le Premier ministre israélien peut être arrêté ! Est-ce qu'on réalise ?"
Laurence Ferrari n'en revient pas. Voici à peine quelques semaines, l'animatrice de CNews
était en Israël, pour interviewer Benjamin Netanyahu, avec une besace pleine de questions politiques, comme pour un vrai chef de gouvernement. Et maintenant, un mandat d'arrêt est lancé contre lui par la Cour Pénale Internationale. Mettons-nous à la place de cette honnête journaliste, qui ne se doutait de rien, et à qui on apprend qu'elle a côtoyé un criminel de guerre. Si seulement elle avait sû ! D'ici à ce qu'elle soit elle-même inquiétée, pour complicité !
"Mandat d'arrêt". Peut-être faudra-t-il ce mot là pour que la situation percute enfin la conscience internationale. Champs de gravats, files de fugitifs tirés comme des lapins, cadavres violets de petits enfants : toutes ces images ont été impuissantes à rendre compte de l'ignominie de l'épuration israélienne de Gaza. Mais le cachot, mais les menottes, mais le box des accusés, mais la superposition des images de Netanyahou et de Milosevic, dans la galerie des grands criminels de guerre de l'époque : peut-être le déclic ?
Je reçois ces jours-ci plusieurs demandes d'interview à propos du traitement de Gaza par les médias français. Je ne sais pas quoi répondre, sinon ceci : de quel traitement parlez-vous ? C'est très simple les médias français traitent les milliers de morts de Gaza comme une "affaire courante". Certainement pas à la hauteur de ce que mériterait un crime de guerre commis depuis plus d'un an par un pays occidental soutenu par les États-Unis, et qui vient de valoir à ses responsables un mandat d'arrêt international de la Cour pénale Internationale. On le répète depuis un an, et cela n'a rien changé. Faut-il encore le répéter ?
Tout au long de la première année, vu des plateaux français, Gaza n'a jamais été qu'un massacre bien mérité, un génocide certes malheureux mais.
Peut-être, à la limite, si vous insistez -mais attention à l'antisémitisme !-, une épuration potentielle. Au bout d'un an, vint l'offensive israélienne au Liban. Laquelle à ce jour tue moins vite, certes, mais des victimes plus proches de nous, du fait de l'Histoire, et "innocentes" du crime collectif imputé à Gaza le 7 Octobre, autorisant en conséquence le président français à prononcer le mot de "barbarie". Et puis encore, dans les derniers jours, il y a eu Trump. Et puis encore Poutine et ses missiles de moyenne portée. Bref, il y a toujours quelque chose.
Sans doute la concurrence de sujets importants d'actualité n'est-elle pas la seule cause de la restriction médiatique française à propos des quarante-cinq mille morts de Gaza.
Sans doute, Gaza est-elle aussi victime de la honte des médias français. Honte de n'avoir pas sû, en plus d'un an, en direct live, stopper l'élimination des Gazaouis de la surface de la terre. Honte de notre impuissance. Honte de toucher les limites étroites de notre pouvoir. Honte de n'avoir pas même eu honte.
La machinerie médiatique à compassion-mobilisation internationale attend maintenant l'arrivée au pouvoir de Donald Trump. Stay tuned, le compte à rebours est enclenché. Voilà qui va renouveler le feuilleton. En attendant, on cherche des angles neufs. Le traumatisme des soldats israéliens retour de Gaza, ceux qui ont écrasé sous les roues de leurs bulldozers du Gazaoui mort ou vivant, tiens voilà un angle neuf. Montrer que les bourreaux sont aussi, quelque part, victimes, avec ce titre "Pour vous, nous sommes des monstres, n'est-ce pas ?"
. Ça c'est paradoxal, ça bouscule les consciences à rebrousse-poil, c'est bankable.
D'ici-là, business as usual
. Rima Hassan projette des conférences. Elles sont parfois interdites, puis autorisées, puis réinterdites (à propos, message personnel, depuis plusieurs mois nous souhaitons inviter l'eurodéputée, sans réponse de sa part. Si quelqu'un la croise...) Rien, aucune atrocité, aucune polémique, ne crève le mur de l'attention.
Reste une autre raison. Quand j'ai terminé, voici huit ans, Berlin 1933
, enquête sur le traitement par la presse occidentale des persécutions nazies contre les Juifs, une bizarrerie m'a frappé : dans la presse, les victimes avaient été traitées "en gros". Pas une voix, pas un visage, émouvant, ou simplement marquant, n'émergeaient des articles. Il faudrait attendre quelques décennies, pour découvrir une petite Néerlandaise nommée Anne Frank. C'est la même chose aujourd'hui avec les Palestiniens. Pour d'excellentes raisons, aujourd'hui (Israël massacre les journalistes palestiniens, et interdit le terrain aux autres) comme alors.
À quelques exceptions près. Rami Abou Jamous est une de ces exceptions. Je vous ai déjà parlé de lui. C'est un journaliste francophone de Gaza, père de famille. Dans le journal Orient XXI
, il raconte au jour le jour la vie sous la tente, au ras des petites et des grandes paniques quotidiennes, et des frustrations des enfants pour une pizza, un repas de poulet, un bonbon. Ses articles viennent de sortir en recueil (Journal de bord de Gaza, Ed Orient XXI Libertalia)
. Achetez-le, offrez-le sous le sapin. On ne peut pas faire grand chose, mais on peut faire ça.