L'ARCOM à la rescousse du Sénat contre France 2

Daniel Schneidermann - - Investigations - Déontologie - Obsessions - 24 commentaires

On ne savait pas tout. Une petite vilénie de l'ARCOM pouvait en cacher une autre. Ce même jeudi 27 novembre où tous les yeux de la bulle médiatique étaient tournés vers le certificat de bon élève du pluralisme accordé par l'ARCOM aux chroniqueurs pluralistes de CNews, l'autorité de régulation présidée par Martin Adjari "mettait en garde" France 2. Là encore, c'est l'émission Complément d'enquête qui était visée, pour son numéro consacré au Sénat, diffusé le 19 juin dernier (attention, le replay n'est disponible que jusqu'au 18 décembre). 

Harcèlement au travail, tentative de viol, abus de notes de frais, chantage à la sextape : rassemblant quelques soubresauts récents ayant agité le microcosme sénatorial, l'émission mettait en lumière le tact extrême avec lequel la Haute Assemblée (c'est son petit nom) gère en son sein, le plus discrètement possible, les délits variés dont ont été récemment accusés quelques sénateurs. Au besoin en modifiant en cours de route, pour le besoin de la cause, ses propres procédures disciplinaires.

Les motifs de cette "mise en garde" sont détaillés sur le site de l'ARCOM. Ici, à propos du harcèlement de collaborateurs par une sénatrice, l'ARCOM regrette "l'absence de mise en perspective" de l'émission.  Là, au sujet du laxisme dans le contrôle des dépenses des sénateurs, l'institution de Martin Adjari reproche à l'émission de Tristan Waleckx de mentionner que "à peine la moitié de ces dépenses a été contrôlée", tout en reconnaissant trois lignes plus bas...que ces contrôles concernent "40 à 60% des dépenses". Etc etc.

J'ai visionné l'émission en question. Du haut de la longue expérience qui est la mienne, ses précautions de langage, son souci du contradictoire, sont irréprochables. Si tous les journalistes télé faisaient preuve des mêmes scrupules que Complément d'enquête,  peut-être ne serait-il pas besoin de les "labelliser". Bon, quelques angoissantes musiques d'ambiance ne sont peut-être pas indispensables (vieux problème). Oui peut-être Tristan Waleckx s'est-il laissé emporter par sa fougue en évoquant des "sénateurs dealers" : la dose d'ecstasy avec laquelle le sénateur Joël Guerriau a endormi, et sans doute violé (il devrait être jugé prochainement) une amie députée lui a, selon les enquêteurs, été fournie gratuitement par un collègue. Soyons rigoureux, pesons nos mots : les sénateurs pratiquent le deal à titre gracieux. 

Du reste, l'autorité de régulation est dans son rôle, si elle l'estime nécessaire, en adressant une mise en garde à France 2. L'anomalie est ailleurs.  A en croire Mediapart, cette émission a été visionnée deux fois par l'ARCOM. Lors d'un premier visionnage, l'autorité n'y a rien trouvé à redire. " En l’absence de manquement de l’éditeur à ses obligations déontologiques, il est proposé de ne pas intervenir et d’orienter le plaignant (le Sénat, NDR) vers le juge judiciaire", pouvait-on lire dans un document interne à l’ARCOM que Mediapart s’est procuré. Elle a rendu, en quelque  sorte, un avis de non-lieu. Elle l'a même rendu public sur son site. Mais ce non-lieu a fort mécontenté le président du Sénat Gérard Larcher (qui a refusé de répondre à Complément d'enquête). A sa demande, l'ARCOM (dont trois des membres sont nommés par le président du Sénat) a donc re-visionné l'émission. Et ô surprise ! Y a cette fois trouvé matière aux points de pinaillage mentionnés ci-dessus, et qui ont nourri sa "mise en garde". Le premier avis est depuis introuvable sur le site de l'ARCOM. Auprès de Mediapart, l'ARCOM a plaidé sans rire une "erreur dans le circuit de publication".

Ces deux coups bas simultanés contre l'audiovisuel public sont à analyser dans le cadre de la guerre d'influence, et de la guerre commerciale, que livrent au service public, notamment depuis le non-renouvellement de C8, les médias Bolloré. Placé sous surveillance par la droite et l'extrême droite pour son passé de membre de cabinets de plusieurs ministres PS, le nouveau président de l'ARCOM Martin Adjari n'en finit plus de devoir donner des gages à ses accusateurs. Quelle sera la prochaine étape ?

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