Jésus Queen : retournements dans la réception

Daniel Schneidermann - - Pédagogie & éducation - Obsessions - 173 commentaires

Résumons, pour ceux qui auraient manqué l'after, et zappé sur les épreuves à partir de samedi matin. Aya Nakamura et la Garde républicaine, finalement, tout le monde a adoré le duo, tout le monde est réconcilié, tout est pardonné, encore mieux qu'en 98 la France black blanc beur. Le chef de la musique de la Garde a donné 326 interviews pour expliquer combien twerker, en fait, était cool, il suffit de s'y mettre. Quant à Céline Dion, elle avait gagné d'avance. Même avant qu'on apprenne qu'en fait elle n'avait pas touché le cachet de deux millions qui courait méchamment sur Internet, tout le monde saluait la victoire sur la maladie, l'exploit.

Reste Marie-Antoinette irémédiablement coupée en deux, et surtout le gros morceau, la Cène avec les drag queens et l'artiste Philippe Katerine sortant d'une cloche à fromages, quasi-nu et peint en schtroumpf.

Dans la réception de l'oeuvre, il faut distinguer plusieurs périodes. Dans un premier temps tout le monde croit qu'il s'agit vraiment de la Cène, celle de Jésus et de Léonard, ce qui répartit les réactions selon un diagramme familier. Réjouissances à gauche (y compris dans toute la presse occidentale), c'est formidable, c'est transgressif, très Charlie, mais attention, le bon Charlie, celui qui s'en prend aux cathos, l'ancien Charlie d'avant le 11-Septembre, ce qui nous rajeunit.

A droite, et sur la planète illibérale, c'est Lamentation générale sur cette nouvelle preuve de la décadence occidentale (Poutine, Trump, de Villiers, Boutin, Marion Maréchal, Naulleau, CNews, les habitués, heureusement qu'ils sont là, pas de transgression qui se respecte sans les horrifiés de servie). Mais à gauche, d'autres, refusant d'être confondus avec les précédents, ont apprécié globalement le spectacle...sauf la Cène, justement. 

C'est le cas particulier de Jean-Luc Mélenchon qui, réticent à l'origine, s'est dit retourné par la cérémonie, tout en étant retourné dans son retournement par la Cène, donc. Cette critique de Mélenchon subdivise immédiatement les anti-Mélenchon habituels en deux catégories. Les anti-drag queens eux-mêmes retournés par le retournement dans le retournement de Mélenchon, sur le thème : vous voyez bien, même Mélenchon n'a pas aimé ! Et d'autre part les anti-Mélenchon radicaux, inretournables, qui soupçonnent Mélenchon de ne critiquer la cathophobie que pour critiquer ensuite plus librement l'islamophobie, en vertu de son clientélisme habituel (paragraphe à relire crayon à la main, l'analyse de la réception est un art complexe).

Aucune polémique planétaire ne pouvant se passer de Jacques Attali, celui-ci avertit, en langage Attali, que cette scène marque possiblement le début d'une troisième guerre mondiale, même s'il est plus probable que non. Patience, on saura dans dix ans. 

Et soudain, dans la journée de dimanche, patatras, nouveau retournement dramatique, on n'avait rien compris, ce n'était pas la Cène qui était représentée, mais l'Olympe des Grecs, et plus précisément le banquet des Dieux de l'Olympe. 

Preuve à l'appui : il existe même un tableau du peintre Van Biljert, moins connu que Léonard, certes, mais tout de même exposé au musée Magnin de Dijon. "Olympe olympisme", précise pour les malcomprenants Thomas Jolly, metteur en scène de l'ensemble. Et d'ailleurs Dionysos (le schtroumpf, sur l'image) est le père de Sequana, le nom de jeune fille de la Seine. CQFD, tout concorde, tout raccorde.

Les Dieux de l'Olympe ! Personne n'avait pensé à eux, ceux-là. Recomposition immédiate des camps en présence. Majoritairement, les déplorants n'en croient pas un mot, sur le mode "Oui mais regardez le nimbe d'or du personnage central ? C'est bien de Jésus qu'il s'agit !"(réplique immédiate de l'exégèse de Van Bijlert, "bien avant le christianisme, le nimbe indiquait Apollon"). Quoi qu'il en soit, les déplorants traitent les décadents de dégonflés qui n'assument pas leur décadence. Le décadent, Messieurs dames, se doit d'être fier et de marcher la tête haute, à l'image de la drag queen Piche, défenseuse de la tolérance, qui se "carre le cul" des critiques. "Ah ben c'est franc", remarque la présentatrice de BFM (notons que depuis le début, BFM balance savamment entre l'art ou le cochon, le boss Fogiel, sur le départ, ayant sans doute déjà rendu son oreillette de service avec éléments de langage de l'Elysée).

Quant à ceux qui se réjouissaient de la belle transgression, pas question de leur arracher leur Cène. On veut la Cène, la vraie, on veut un beau sacrilège cathophobe, une franche castagne qui dure jusqu'à la fin des Jeux, voire plus si affinités. Comme dit Thomas Jolly, "on voulait une cérémonie qui répare et réconcilie tout le monde". Sur ce point, médaille d'or.




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