Débat : et le vainqueur est...Bellamy
Daniel Schneidermann - - Médias traditionnels - Obsessions - 116 commentaires
C'est toujours beau, un homme de droite en rebellion contre l'arbitraire, et l'ordre injuste des choses. Un réactionnaire monte à la barricade, un conservateur balance un pavé : bref, François-Xavier Bellamy, tête de liste LR aux Européennes, a crevé l'écran de la soirée de France 2 en balançant à la figure de la présentatrice Caroline Roux l'iniquité scandaleuse de l'organisation de cette soirée : d'abord, à l'horaire de la plus grande écoute, un duel fraternel / fratricide entre les deux Ken qui résument selon France 2 le débat politique français : Attal et Bardella. Ensuite, au dessert, pour commenter la première partie, une fournée de "moyens" (Bellamy, donc, Maréchal et Aubry). "Ce qui s’est passé est le signe d’une crise démocratique assez profonde qui finalement se révèle dans la mise en scène à laquelle nous avons assisté, a lancé Bellamy. Qu’est-ce qui permet d’organiser cette confrontation entre ces deux personnes ? Comment est-ce que vous les avez choisies ?"
Je voudrais commencer par vous dire que j'ai hésité à venir ce soir.#LEvenement#France2#Européennes2024pic.twitter.com/oh4IXo6UHK
— Fx Bellamy (@fxbellamy) May 23, 2024
Excluant tous les candidats sauf deux, cette organisation est un scandale en soi. Même si elle est dictée, comme a tenté de plaider la présentatrice, par les "intentions de vote"
-appellation pudique des sondages- elle constitue un scandale dans le scandale pour la tête de liste PS Raphaël Glucksmann, qui talonne la liste Renaissance. Au nom de quoi France 2 déciderait que le "débat" RN/Renaissance est plus légitime, plus profond, moins factice, qu'un "débat" RN/PS ? Heureusement pour lui, on apprend ce matin que Glucksmann a obtenu une compensation : du temps pour lui tout seul, à la même heure que les deux autres, la semaine prochaine.
Accessoirement, l'argument des sondages est absurde. À quoi servent les débats de ce genre, sinon justement à faire bouger les sondages, en modifiant les convictions ? Mais inlassablement, les puissants des médias se cramponnent au déni selon lequel ils seraient, non pas des acteurs majeurs, mais de simples et innocents spectateurs des combats politiques.
France 2 étant bien en peine de justifier ce choix, sinon par la hantise de perdre des parts d'audience avec un scrutin présumé peu attrayant (de fait, l'audience n'a baissé qu'à la marge après la fin du 20 heures écourté) il n'est pas trop difficile de le faire à sa place. La chaîne publique aura souhaité se conformer au souhait d'Emmanuel Macron de voir le petit prodige Attal voler au secours de la transparente tête de liste Valérie Hayer, transparence cruellement révélatrice du niveau du personnel politique macroniste. Si c'est le calcul, il est hasardeux, qui intronise Bardella opposant officiel.
Plus perfide, mais peut-être plus efficace, serait pour Renaissance l'autre stratégie : raboter le score Bardella en valorisant Marion Maréchal. Mais les deux ne sont pas compatibles.
Voici donc Bellamy prince d'un soir des exclus. Il n'est pas le premier à endosser le costume. Avant la présidentielle de 2007, le "troisième homme" François Bayrou avait à plusieurs reprises attaqué, sur ses plateaux même, le média dominant d'alors,TF1, accusé de collusion avec Nicolas Sarkozy, puis d'enfermer le débat dans un match Sarkozy/ Royal. "Vous n'êtes pas les patrons de la France, avait-il lancé. Il est clair que vous avez envie que le second tour oppose Nicolas Sarkozy à Ségolène Royal, que cela vous arrangerait pour le présent et pour l'avenir. Mais nous, Français, sommes un peuple de citoyens : nous ne céderons pas à votre matraquage." En riposte, le directeur de l'information Robert Namias l'avait dédaigneusement accusé de simplement tenter d' "exister",
dédain qui évoque, aujourd'hui celui de Caroline Roux, balayant d'un revers de main le "happening"
de Bellamy. Les années passent, la vieille télé décline biologiquement avec son public, restent l'arrogance, et l'aveuglement. Jusqu'à l'engloutissement final, elle s'y cramponnera.