De Stanislas à Macron, le réarmement en marche

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 97 commentaires

C'est le grand rendez-vous du lapin. Le jour où le président va sortir le rituel lapin du chapeau, au cours d'une conférence de presse, annoncée depuis plusieurs semaines, en prenant en otage toute une soirée télévisée, toutes chaînes confondues. Et les voici, les premiers lapins, ils sont nombreux, tout un clapier. Tremblez jeunesse ! Des cours de théâtre et d'histoire de l'art pour les élèves (avec quels moyens ? Quels horaires ? On verra plus tard). De la Marseillaise obligatoire en primaire. Une restriction "dézécrans". Plus sérieusement, le "réarmement démographique", au moyen de mesures natalistes d'incitation. Le président de la 7e puissance mondiale s'adresse à son pays, et la première mesure promise, ce sont des cours de théâtre, pour servir les "grands textes" (dans l'idée de former des couvées de petits Depardieu ?) Ah, j'oubliais : l'obligation du port de l'uniforme à l'école se précise. Pardon, d'une "tenue unique" pour les élèves. On va l'expérimenter, mais le président est favorable à leur généralisation.

Bien sûr, tout au long de cette longue émission, d'autres lapins bondiront du chapeau (se reporter à ses médias habituels), mais restons sur cette obsession de mettre la jeunesse du pays en uniformes.

Hasards de l'actualité, l'attention publique se porte ces jours-ci sur un établissement qui, sans imposer le port de l'uniforme, accorde une grande attention à l'habillement de ses élèves, surtout les filles. Il s'agit bien entendu de la désormais célèbre école privée catholique Stanislas, où furent scolarisés les enfants de la toujours ministre de l'Education Amélie Oudéa-Castera.

Mediapart révélait hier le rapport de la mission de l'Education nationale, entreprise après des enquêtesjournalistiques révélant de graves dysfonctionnements dans cet établissement.  Pour la mission, la direction de Stanislas entretient des stéréotypes sexistes, notamment à travers sa façon de régir les tenues des filles. « La mission relève sur vingt ans une préoccupation constante de l’apparence du corps féminin, qu’il faut cacher : vêtements opaques, épaules (couvertes), ventre (hauts sur le bas des hanches), cuisses (longueur des jupes et des robes), poitrine (pas de décolletés). Ce niveau de détails relève du sexisme. Il renvoie la jeune fille à une image sexuelle de son corps qui attire et perturbe les garçons. »

"Ces préconisations, détaille le rapport, ont évolué au fil des années". C'est en 2014 que des talons "de hauteur raisonnable" sont introduits. Cette "hauteur raisonnable" est précisée en 2015 : "4 cm maximum", hauteur maximale qui passe à 5 cm en 2018. En échange, en 2017 a été rajoutée une restriction : les hauts des filles doivent tomber sur le bas des hanches, "ce qui empêche au ventre d'apparaître même en levant les bras". Bref, "la mission relève sur vingt ans une préoccupation constante de l'apparence du corps féminin, qu'il faut cacher".

Encore ces détails ne sont-ils pas les plus graves, relevés par le rapport. S'agissant de l'hostilité de l'établissement à l'homosexualité et à l'avortement (tous deux néfastes, il est vrai, au "réarmement démographique"), à l'éducation sexuelle, ou à la mixité tout court, ou encore de l' obligation (contraire aux termes du contrat d'association de l'école) de suivre les heures de catéchèse, reportez-vous au texte intégral.

Sous l'emblème du sabre et du goupillon, subsiste en plein Paris un territoire sécessionniste et radicalisé. On aurait pu penser que cette principauté n'était qu'une subsistance anachronique, assiégée par l'évolution libérale des moeurs. Mais tout peut aujourd'hui laisser penser que le mouvement s'effectue en sens contraire, et que c'est plutôt le libéralisme économique, qui fait mouvement vers l'illibéralisme sociétal.  Cette coïncidence confirme, tout simplement, qu'aucune "évolution des moeurs", allant dans le sens d'une plus grande liberté à disposer de son corps, telle qu'on aurait pu l'analyser depuis un demi-siècle, n'est aujourd'hui irréversible. Ni aux Etats-Unis, ni en Hongrie (pays inventeur, semble-t-il, du "réarmement démographique" prôné par le président), ni en France, ni nulle part. Raison de plus pour inscrire dans la Constitution le droit à l'IVG, si toutefois le processus va à son terme.


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