BHL : Mélenchon et Villepin, "bave aux lèvres"

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 109 commentaires

Une année entière, à vivre avec la mort. Une mort qui ne nous lâche pas. Qui nous agrippe par la manche à chaque seconde. Que nous feignons parfois d'ignorer, implorant un répit. Nous faisons alors semblant de vivre. A quoi bon répéter pour la millième fois le même effroi ? Nous mimons les gestes de la vie. Mais depuis un an, la guerre ne nous lâche jamais.

Notre guerre à nous, en France, je veux dire. Notre pauvre petite guerre à distance, de mots, de postures, de sabres de bois. Pauvre petite guerre, mais qui obsède aussi bien que la vraie, par journaux et télés interposés.

Ce reflet médiatique monstrueux ne cesse jamais de nourrir la bête, autant qu'il s'en nourrit. Prenons une des chaînes d'info. LCI. Hier 6 octobre, veille du sinistre anniversaire, LCI invite, une fois de plus, Bernard-Henri Lévy. Quelle est son expertise ? Ne va-t-il pas redire ce qu'il a déjà dit cent fois ? Peu importe. Il faut nourrir la bête. Or justement, BHL, expert de la règle du jeu depuis près d'un demi-siècle, sait qu'il faut aller toujours plus loin, pour capter l'attention, contre ses deux suspects ordinaires, Mélenchon et Villepin. Et il fonce. Les positions de Mélenchon et de Villepin, explique-t-il, ne sont plus seulement motivées par le clientélisme et l'électoralisme, mais purement et simplement par l'antisémitisme. "C'est pas une tactique, c'est pas du clientélisme". Chez Mélenchon et chez Villepin, "il y autre chose que du calcul froid. Une haine qu'ils...qu'ils...dégagent, une haine d'Israël, et de ceux dont Israël est le nom, c'est à dire les Juifs. Il y a un côté bave aux lèvres, un côté furieux."

Bave aux lèvres. Comme des chiens, des loups, des fauves, des vipères lubriques. Ou des poux. Ou des rats. Que chacun choisisse, dans l'inépuisable registre de l'animalisation de l'Ennemi. Que cet exercice soit un jeu pour les deux, intervieweur et interviewé, on le comprend au jeu de scène. "Jean-Luc Mélenchon serait animé d'une haine des Juifs, c'est que ce que vous affirmez ce matin ?" "Je ne veux pas que vous soyez poursuivi par la Justice...." "Ce serait vous..." "..pour complicité avec moi...". Savourez le petit échange au filet. L'inanité de cette accusation, ils la connaissent tous les deux, intervieweur et interviewé. Ils jouent avec cette limite. Courageusement, aucun des deux ne la franchira. Et donc ? Peut-on reformuler ?  "Certains dans son parti sont au bord de la forme moderne de l'antisémitisme, qui est de dire que les Juifs sont haïssables parce qu'ils sont les alliés d'un Etat nazi et génocidaire".

Le soir même, le "chien" Villepin est admis à répondre sur la même chaîne, interviewé par l'onctueux Darius Rochebin, qui arbitre  le match en pion affligé, comme une bagarre de cour de récréation. Que Dominique de Villepin situe sa réponse sur le fond, sur la guerre et la paix, sur le chaos, le sang et les morts, qu'il note en passant que son insulteur est aujourd'hui président inamovible du conseil de surveillance d'une télévision publique (ARTE), Rochebin ne le relève pas, s'en moque. "On ne va pas ajouter de la polémique à la polémique, est-ce que vous seriez prêt, au-delà des anathèmes, de débattre avec Bernard-Henri Lévy, sur un plateau comme celui-ci" ? Ben voyons ! En cadeau d'anniversaire, un beau combat de taureaux, jusqu'au sang, bave aux lèvres.


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