Barnier : on est au parfum !
Daniel Schneidermann - - Coups de com' - Obsessions - 178 commentaires
"Je peux dire quelques mots, là ?"
Avec cette insolence-arrogance de boomer face au jeune Attal qui venait de dérouler dans la cour de Matignon son programme-tunnel, le nouveau Premier ministre Michel Barnier a incontestablement offert aux caméras ce que souhaitait Macron : "un parfum de cohabitation"
. Parfait. Mission accomplie. On est au parfum. On a compris que Barnier va "exister"
, pleinement, en toute autonomie, qu'on change d'ère, que la politique à l'ancienne ne s'en laissera plus conter par la macronnie.
On a compris qu'avec Barnier, revient sur l'avant-scène la droite, la vieille droite notable, institutionnelle, la droite de pouvoir, opportuniste, ce genre de droite qui peut en même temps, avec un culot à la Chirac, se proclamer "européenne"
, et expliquer froidement, en parfait souverainiste, que la France devrait, sur la question de l'immigration, se libérer du carcan des juridictions européennes.
Inscrite dans le temps long, le temps de la progression de "l'illibéralisme libéral" dans tout l'Occident, la séquence de l'été raconte une autre histoire. S'il fallait la résumer, le Rassemblement National, qui a validé auprès de Macron le nom de Barnier après avoir rejeté Cazeneuve et Bertrand, a mis un pied dans la porte du pouvoir. Issu d'un parti ratiboisé aux dernières élections, sans garde de fidèles, Barnier devra danser au rythme du RN. Ce n'est d'ailleurs pas forcément une bonne affaire pour le RN. Déjà, une partie de son électorat commence à lui reprocher de prêter la main au Système. Elle le lui reprochera de plus en plus. C'est à Le Pen et Bardella, qu'il appartiendra de sauter du train à temps, en faisant chuter Barnier. On verra bien.
Dans l'immédiat, tout le reste est écran de fumée, qui masque cet essentiel. Tout le reste, c'est à dire l'invraisemblable feuilleton décervelant entretenu tout l'été par les chaînes de bavardage. Ecran de fumée, cette dernière semaine, les procès intentés en boucle au PS par les perroquets de l'information continue, après l'élimination de l'option Cazeneuve. Ah, si seulement le PS avait accepté Cazeneuve, on n'en serait pas là ! Maudite soit la sorcière Clémentine Autain, qui a "fait huer Cazeneuve"
aux Universités d'été du PS, répètent en boucle les Duhamel, les Saint Cricq, les Croissandeau. Et maudit soit Faure, qui ne s'est pas alors précipité sur la forcenée, pour la coucher à terre et la bâillonner !
Fumigènes. Brouillard. Comment peut-on imaginer une seconde que Macron aurait accepté un Cazeneuve qui -a-t-on hélas appris à retardement, après son élimination- avait posé sur la table l'abrogation de la réforme des retraites. Oui, Macron géré l'épisode avec une misérable perversité, une petite perversité de petit bonhomme, aveugle aux enjeux, et on hallucine pour la profession qu'il se trouve sur une chaîne une journaliste pour reprocher à Marine Tondelier d'avoir exprimé à l'antenne ce que tout ce petit monde, apparemment, se répète en off.
Aujourd'hui on m'a vraiment dit sur @LCI :
— Marine Tondelier (@marinetondelier) September 5, 2024
« Vous avez eu cette phrase : "il teste des noms parce que c'est un pervers". Vous êtes allée sur un terrain que beaucoup disent en OFF mais pas en ON, est-ce qu'un responsable politique devrait dire ça ? »
Réponse ⤵️ pic.twitter.com/vuLArthq7d
Quant à Barnier lui-même, écran de fumée, les savantes controverses théologiques, est-il de droite dure, de droite molle, le reblochon est-il ferme ou fait à coeur ? Est-il écolo (il est venu à vélo à l'Elysée, nous informe Le Monde
), ou réac (il a voté en 1981, comme toute la droite, contre la dépénalisation de l'homosexualité) ? Vues du temps long, ces questions n'ont aucune importance. Je prendrais bien des exemples historiques de leaders de la droite bourgeoise, ayant inconsidérément ouvert la porte à des régimes autoritaires, voire à des dictatures, mais je serais taxé d'un point Godwin.
Profondément désolé pour les smicards, et les sexagénaires au bout du rouleau, qui vont devoir trimer deux ans de plus, dans des métiers autrement épuisants et destructeurs que le mien, je ne peux m'empêcher de me consoler. Depuis le début, toute solution m'a semblé préférable à l'option Cazeneuve, qui aurait pulvérisé la miraculeuse union de la gauche, qu'incarnent aujourd'hui Castets, Tondelier, Faure, Bompard et Panot. Privée de cette illusion de pouvoir, où elle se serait déconsidérée, elle reste indemne pour espérer le conquérir dans des conditions plus claires. Les mains ballantes peut-être, mais pures, pour renverser la formule de Péguy. Et tout le temps pour peaufiner, à toutes fins utiles, un vrai programme.