"Agnès Jaoui, vous restez avec nous"

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 132 commentaires

"Agnès Jaoui, vous restez avec nous !" dit Elise Lucet. La comédienne est en promo dans Envoyé Spécial, pour son dernier film, Le dernier des Juifs. Il y est question d'une famille juive de la région parisienne, obligée de quitter son logement, pour cause d'antisémitisme. Le film doit sortir le 24 janvier prochain.  L'équipe d'Envoyé Spécial a tourné dans une avant-première à Sarcelles (95). Assise face à Lucet dans la salle de projection, Jaoui déplore "l'ignorance", à la base selon elle de "l'absurdité" de cette guerre "dont on ne voit pas la fin pour l'instant". Il faudrait pouvoir "ramener à la raison" dit Lucet s'expliquer, se parler, entre Juifs et Arabes, comme on vient de se parler dans l'avant-première de Sarcelles, avec des représentants "de toutes les communautés". Absurde, absurdité, répète Agnès Jaoui.  "J'ai plus en commun avec un Arabe de Tunisie qu'avec un ashkenaze de Pologne".

"Agnès Jaoui, vous restez avec nous". Car le second sujet d'Envoyé Spécial, ce 7 décembre, va nous emmener le long de la "Route 60", la "route de la haine", qui traverse la Cisjordanie du Nord au Sud.  De part et d'autre de la route, se succèdent villages palestiniens et colonies illégales israéliennes, en extension permanente. Plaques jaunes (israéliennes) et plaques blanches (palestiniennes), chacun sa zone, chacun ses territoires interdits. Les uns et les autres, les jaunes et les blancs, ne se côtoient que dans les stations-service, pour faire le plein. Le mot apartheid n'est pas prononcé.

"Vous restez avec nous". C'est une phrase d'enchaînement, une phrase vide. On sait bien que dans la vraie vie, les invités des plateaux ne restent pas pour visionner le sujet suivant. Ils ont mieux à faire, des obligations les attendent. Mais cette fois, peut-être ? L'équipe de France 2 pénètre dans un foyer de colons israéliens. La mère, Sarah, est armée en permanence, depuis que quatre Israéliens ont été tués par deux Palestiniens, justement dans une station-service, en juin dernier. "On a appris à tirer en conduisant, dit la mère de sept enfants. On conduit avec les coudes." Rentrée chez elle, elle range l'arme dans un placard, où est collé un  petit coeur. Elle est chez elle. "Le bon Dieu a donné l'Etat d'Israël au peuple juif. C'est écrit dans la Bible depuis 5000 ans. Donc tu sais que c'est la vérité". 

Justement, nous voilà ensuite dans une famille palestinienne. Le père de famille a été abattu par des colons, voici quelques semaines, alors qu'il cueillait des olives. Le colon tireur est un soldat israélien en permission, qui relève donc de la Justice militaire israélienne, et attend -en liberté- un hypothétique procès. Troisième plongée, dans une famille de bergers bédouins palestiniens, qui a dû abandonner sa maison, faite de tôles et de piquets, après une attaque de colons. "Il y a eu un pogrom, ici" dit le rabbin Arik Ascherman, qui porte secours aux Palestiniens victimes de la violence des colons. "Je suis en colère, j'ai honte que cela soit fait par le peuple juif". Selon les Nations Unies, depuis le 7 octobre, plus de 600 personnes ont dû quitter leurs terres en Cisjordanie.

Fin de cet excellent reportage, qui nous a plongé dans une violence effroyablement logique, une violence coloniale dans toute sa pureté. On guette, au retour plateau, la réaction d'Agnès Jaoui. Pense-t-elle toujours que la violence ne résulte que de "l'ignorance" ? Pense-t-elle toujours qu'il suffirait de se parler, avec un peu de bonne volonté, pour rompre la chaîne de "l'absurdité" ? Prononcera-t-elle les mots "violence coloniale" ? On ne le saura pas. Il faudra imaginer ce qu'on voudra. "C'est la fin de cette émission", conclut Elise Lucet (qui ne se trouve plus dans la salle de projection). Agnès Jaoui n'est pas restée avec nous.


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