Maroc : le retour de "l'abominable vénalité" de la presse française ?

Daniel Schneidermann - - Déontologie - Le matinaute - 50 commentaires

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Beau temps pour les pirates.

De petits émules de Wikileaks viennent de triompher de Sony, en conduisant la multinationale à enterrer la sortie d'un film, prévue pour la période des fêtes, film qui mettait en scène l'assassinat du président nord coréen Kim Jong un. La Corée du Nord est-elle derrière les pirates ? Cela ferait un formidable scénario de film, mais il est peu probable qu'un producteur prenne le risque de le financer.

Il est un autre pays, plus proche de la France, et dont la classe dirigeante est actuellement obnubilée par un pirate : c'est le Maroc, où tout le monde se demande qui est le fameux twittos, auto-baptisé Chris Coleman, qui fait fuiter par dizaines des documents qui, tous ensemble, brossent la fresque d'une diplomatie marocaine obsédée par le Sahara occidental. Lequel n'est d'ailleurs pas le sul sujet brûlant : l'affaire Ben Barka, elle aussi, semble encore, presque cinquante ans plus tard, obséder les Marocains, jusqu'à les amener à financer de manière détournée des procès en diffamation en France, comme le montrent les mésaventures d'un de nos confrères de France 3, Joseph Tual.

Il est un autre aspect encore plus stupéfiant, dans les documents divulgués par "Chris Coleman" : on y apprend, comme l'a révélé ici Jean-Marc Manach, qu'une poignée de journalistes français, de L'Express, du Point, de Libé, et de LCI, pigent depuis des années pour un site de presse, L'Observateur du Maroc, dont le rédacteur en chef, Mohammed Charai, ne cesse de réclamer des subsides à deux hauts dirigeants du renseignement marocain, afin de rétribuer ces précieux collaborateurs, en échange d'articles favorables aux thèses marocaines dans -encore- l'affaire du Sahara occidental.

La correspondance, notamment, entre Vincent Hervouët, spécialiste de politique étrangère de LCI, -et ancien président de l'association de la presse diplomatique française- et Charai, est édifiante. Si cette correspondance est authentique (et, après minutieuses vérifications, tout montre qu'elle l'est), et si Charai a bien versé aux journalistes les sommes qu'il assure leur avoir versées (ce qui reste à établir, les quatre démentant farouchement), l'information est accablante pour quatre grands medias français, dont les journalistes ont ainsi travaillé en étant stipendiés par une puissance étrangère, comme à la belle époque d'avant la Grande guerre où l'argent russe coulait à flots dans les caisses des journaux français.

Dans l'affaire de l'argent du tsar, il avait fallu vingt ans, et une Révolution bolchevique, pour que la vérité éclate, dans L'Huma, puis dans un livre, éloquemment titré L'abominable vénalité de la presse française. A voir comment, depuis quelques jours, nos révélations sont superbement ignorées par nos confrères, on dirait bien que rien n'a changé. Dans un pays où la presse fonctionnerait normalement, ces révélations seraient reprises (au moins par les medias qui ne sont pas cités). Quant aux confrères mis en cause, ils s'expliqueraient, fouilleraient dans leurs archives pour expertiser les articles mentionnés, mèneraient des investigations internes, pour démentir ou confirmer. A ce jour, rien. Silence radio, et notamment, comme d'habitude, de l'AFP. Jusqu'à quand ?

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