Thuram, Mbappé, et le choix des titres

Paul Aveline - - Coups de com' - Les énervé·es - 74 commentaires

Deux footballeurs, deux voix qui portent, deux façons radicalement différentes de dire les choses. Le premier, Marcus Thuram, n'a pas tourné autour du pot lorsque les journalistes l'ont interrogé sur la situation politique du pays : "La situation est triste, très grave [...]. Il faut se battre au quotidien pour que ça ne se reproduise pas et que le RN ne passe pas." La cible est désignée, le choix est clair. Et les médias reprennent en boucle cette phrase parfaite, cisaillée façon dépêche AFP : "«Il faut se battre pour que le RN ne passe pas», déclare Marcus Thuram", annoncent Franceinfo et l'Équipe"Marcus Thuram prend ouvertement position contre le Rassemblement national", titre le HuffPost ; "Marcus Thuram appelle à se «battre pour que le RN ne passe pas»", choisit Ouest-France ; "Marcus Thuram, premier bleu à prendre position contre le RN", annonce TV5 Monde ; "L'international français Marcus Thuram prend la parole contre le RN", explique Libération. Clair, net, précis. 

Et puis vient l'enfant chéri du football français, Kylian Mbappé. Mbappé le communiquant, aussi à l'aise devant Élise Lucet que face aux caméras de CNN Sports où il s'exprime dans un anglais parfait, Mbappé qui verrouille volontiers sa communication (la Revue des médias l'a parfaitement raconté ici), et dont la parole est, par conséquent, d'autant plus attendue. En conférence de presse, il se lance, face à des journalistes qui espèrent bien le même genre de sortie que Thuram, la dépêche AFP au bout des doigts. Mais ça ne vient pas : "Aujourd'hui, on voit très bien que les extrêmes sont aux portes du pouvoir, et on a l'opportunité de choisir le futur de notre pays. C'est pour ça que j'appelle à tous les jeunes d'aller voter, de vraiment prendre conscience de l'importance de la situation. [...] On a besoin de s'identifier à ce pays. On a besoin de s'identifier à nos valeurs qui sont des valeurs de mixité, de tolérance, de respect. Ça, c'est indéniable. [...] J'espère vraiment qu'on va faire le bon choix, et j'espère qu'on sera encore fiers de porter ce maillot le 7 (juillet, ndlr)." Il répète un peu plus tard : "Je suis contre les extrêmes, les idées qui divisent."

On a vu plus clair. Alors Mbappé est relancé : que pense-t-il des déclarations de Thuram ? Réponse de l'international : "Je partage les mêmes valeurs que Marcus. Bien sûr que je suis avec lui. Pour moi il n'est pas allé trop loin. Il a donné son avis, et moi je me range avec lui." Le ciel s'éclaircit. Mais les titres s'y perdent. "Kylian Mbappé espère être «encore fier de porter» le maillot de l'équipe de France le 7 juillet", titrent le Monde, Libérationet l'Équipe ; "Kylian Mbappé se positionne «contre les extrêmes»", annonce le Figaro ; "Kylian Mbappé «appelle tous les jeunes à aller voter», car «les extrêmes sont aux portes du pouvoir»", choisit Franceinfo ; Mediapartannonce que Kylian Mbappé "soutient" Thuram ; "«Je suis contre les extrêmes, les idées qui divisent», affirme Kylian Mbappé", choisissent l'AFP (reprise par Europe 1), Sud Ouest, la Libre Belgique, France Bleu ou la Provence.

Les médias, à l’exception de Mediapart, ont-ils raté l'info principale ? Thuram appelle à barrer la route au RN, Mbappé se "range avec lui", donc Mbappé appelle à barrer la route au RN. Oui mais voilà, jamais pendant cette conférence de presse Mbappé ne prononce les mots "Rassemblement national" ou "extrême droite". Jamais il ne prononce la phrase-dépêche AFP : "Il faut barrer la route au RN". D'où l'éparpillement général. Titrer "Kylian Mbappé soutient Marcus Thuram" n'a aucun sens pour qui ne sait pas ce qu'a déclaré Thuram au préalable. Avec un ajout - "RN : Kylian Mbappé soutient Marcus Thuram" - le titre pourrait même porter à confusion. Surtout, dans un entre-deux tout macronien, Mbappé renvoie dos à dos "les extrêmes", déportant le débat sur ses propos. On ne cherche plus à savoir à qui Mbappé veut barrer la route, mais pour qui il appelle à voter (ce que n'a jamais précisé Marcus Thuram non plus). Et dans cette formule - "Les extrêmes sont aux portes du pouvoir" - se glisse sans doute la réponse. 

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