Salamé - Cotillard : le "malaise" est surtout journalistique

Un extrait du "20 heures" de France 2 a suscité l'indignation collective, sur Internet et dans les médias. On y voit Léa Salamé interroger son invitée, l'actrice Marion Cotillard, sur sa rupture avec Guillaume Canet. La polémique - axée sur le caractère "privé" de la question - se trompe de sujet. Car la supposée indélicatesse de Léa Salamé n'est pas l'aspect le plus problématique de l'interview.

C'est une séquence de "malaise", qu'ont relevée certains médias et commentée de nombreux internautes. Elle a eu lieu sur le plateau du 20 heures de France 2, ce lundi 15 septembre. Autour de la table : Léa Salamé, face à son invitée du soir, l'actrice Marion Cotillard.

"Léa Salamé crée le malaise en questionnant Marion Cotillard sur sa séparation avec Guillaume Canet", résume 20 minutes. "Invitée du 20 heures de France 2 pour évoquer son nouveau film, «La Tour de glace», en salles mercredi 17 septembre, Marion Cotillard s'est retrouvée très gênée après une question de Léa Salamé concernant sa rupture avec Guillaume Canet", précise Ouest-France. Le Huff Post raconte que la présentatrice a "embarrassé"son invitée. Valeurs actuelles y voit un "naufrage". Là où Midi Libre titre sur le "gros malaise" palpable sur le plateau de la grand messe télévisée, parmi d'autres commentaires dans la presse.

Objet de l'indignation collective : une question de Léa Salamé à Marion Cotillard, après six minutes trente d'entretien. "Ma véritable question, elle était, qu'on a appris cet été votre séparation après dix-huit ans de vie commune. Vous êtes l'un des couples qui a fait le plus rêver les Français. Je voulais juste savoir comment vous alliez, si vous alliez bien Marion Cotillard, c'est tout". La comédienne, répond, laconique et l'air affecté : "Merci, ça va et vous, vous allez bien ?". Léa Salamé remercie son invitée et met fin à l'interview. 

On pourrait se réjouir que le travail d'une journaliste - qui plus est, de la nouvelle présentatrice de la grande messe du JT - fasse l'objet d'une réflexion collective. Mais les médias se sont, encore une fois, trompés de sujet. 

"Voyeurisme déguisé en interview culturelle"

Car si la séquence a indigné commentateurs et commentatrices, c'est pour son caractère privé. "Les téléspectateurs du journal de 20h de France 2 ont été nombreux à dénoncer un manque de professionnalisme de la part de Léa Salamé, critiquant sa décision de poser une question très personnelle à une comédienne qui avait expressément demandé le respect de sa vie privée", explique Valeurs actuelles, sans sourcer ses allégations (sur les retours de téléspectateurs et les demandes de Marion Cotillard). Dans un post X, l'éditorialiste de Sud Radio Bérengère Dubus fait comprendre qu'il est déplacé, "en 2025", d'interroger une actrice sur son ex-compagnon. "C'est du voyeurisme déguisé en interview culturelle", lance Caroline Ithurbide sur Europe 1, dans un débat enflammé face à un Pascal Praud et une Sarah Saldmann dans le rôle de défenseurs·euses de Léa Salamé. L'avocate préférée de CNews rappelle notamment que c'est dans un communiqué officiel adressé à l'AFP que Marion Cotillard et Guillaume Canet ont annoncé leur rupture.

Le Huff Post, aussi, défend ouvertement la présentatrice. "Une question relative au divorce des deux acteurs, qui intervient après presque trois mois de spéculation de la part de la presse people et du public, n'a rien d'étonnant", affirme le journal, dans son article consacré à la séquence. "D'autre part, la journaliste est dans son droit lorsqu'elle pose une question, par ailleurs plutôt sensible et peu intrusive, à son invitée venue faire la promotion de son film".

Sur les réseaux sociaux, "Léa Salamé n'aurait JAMAIS posé cette question à Guillaume Canet", peut-on lire. Certains internautes ont rappelé que la priorité de Léa Salamé n'était pas d'être factuelle mais de créer des "moments" à la télévision. Elle l'avait expliqué lors d'une interview à Konbini. Bref, le débat porte sur la barrière à franchir ou ne pas franchir, lorsqu'il s'agit de relations intimes, et le potentiel sulfureux de ce genre de questions. 

"Comment faire encore réagir les gens à des choses qui devraient être inacceptables et qu'on accepte de plus en plus ?"

Pourtant, d'autres aspects de l'interview auraient pu retenir l'attention de la presse. Comme une erreur factuelle lâchée en plein direct, quelques secondes avant la fameuse séquence, par une journaliste à la réputation de "meilleure intervieuweuse" de France. "Dans quelques semaines sortira Karma, le nouveau film de Guillaume Cannet, c'est votre sixième film ensemble", amorce la présentatrice. Faux, "ça sort dans un an", corrige Marion Cotillard. (Seul Ouest-France signale le passage). Ou comme l'absence totale d'informations obtenues au cours de l'entretien, en dehors des éléments de promotion de Marion Cotillard.

Mais c'est surtout l'ironie de la situation, qu'auraient pu relever les spectateurs·rices du journal. Car Léa Salamé n'interroge pas Marion Cotillard sur un sujet anodin. Elle commence par lui parler... des médias, en référence à l'intrigue de The Morning Show, dans laquelle joue l'actrice française. La série américaine porte en effet sur... un duo de présentateurs·rice de la matinale télévisuelle le plus regardée des États-Unis, et les magouilles derrière leur succès. 

"Est-ce que vous avez appris des choses sur le monde des médias ? Parce que c'est les coulisses de la télé, des journalistes, des médias... c'est pire que le cinéma ?", demande Léa Salamé. "Oh ben, c'est totalement différent, mais effectivement la manière dont on partage l'information, dont elle est reçue, aujourd'hui... plus c'est court, plus les gens adhèrent, donc on va moins en profondeur dans les choses", répond Marion Cotillard. Qui poursuit : "Les gens malheureusement aujourd'hui s'habituent beaucoup à des atrocités. Comment faire encore réagir les gens à des choses qui devraient être inacceptables et qu'on accepte de plus en plus ?"

L'actrice semble là faire référence aux conflits internationaux. Peut-être au génocide à Gaza ? Ou à la crise écologique ? (Marion Cotillard a défendu les Soulèvements de la Terre, au moment de la dissolution du mouvement par le gouvernement). Nul ne saura, car Léa Salamé ne fait aucune relance, ne creuse aucune question. Cela encore, les médias ne le relèvent pas. Personne ne mentionne non plus l'échec cuisant, en termes d'audiences, de l'arrivée de Léa Salamé, pourtant attendue comme le messie. "Pour la première fois depuis l'arrivée de Léa Salamé, le «20 Heures» de France 2 glisse sous les 3,5 millions de téléspectateurs", nous apprend en effet Pure Medias le 17 septembre. 

Difficile de ne pas y voir une tragi-comique mise en abyme. Résumons : la nouvelle présentatrice du JT du service public français, en couple avec un chef de file politique, interroge une actrice sur "les coulisses" des médias, et son invitée lui répond qu'il faudrait faire "réagir les gens à des choses qui devraient être inacceptables et qu'on accepte de plus en plus". Notre présentatrice la relance alors en posant une dernière question sur son couple. Et c'est uniquement ça - la question sur la vie privée -qui fait tiquer la sphère médiatique. C'est drôle, mais c'est triste aussi.