Zemmour-LCI, un match de réalités fabriquées

Daniel Schneidermann - - Coups de com' - Le matinaute - 189 commentaires

Devant Zemmour, invité spécial d'une longue soirée, le duo de LCI Elkrief-Pujadas a imaginé de dégainer Lassana Bathily, le héros de l'Hyper Cacher, symbole vivant du vivre-ensemble. Le reporter Paul Larrouturou se trouve donc à ses côtés, au domicile parisien du jeune homme. La caméra cadre Bathily. "Bonjour M. Zemmour. Moi je suis français. Je suis fier que je suis français. Je suis musulman. Je suis la tolérance. J'aime la France. Pour vous... Pour vous, d'être musulman..." Soudain l'interpellation déraille, il bafouille. Dézoom sur le reporter, à ses côtés. "Vous disiez que vous aimiez la République, c'est ça." Oui, c'est ça. Bathily reprend : "Pour vous d'être français, d'être musulman, c'est un problème quoi ?" Regard inquiet vers Larrouturou, pour bien s'assurer que c'est ce qu'il fallait dire. Une seconde fois, avec conviction, le coach de LCI reformule. "Vous le regardiez dans votre télé, vous me disiez : est-ce que ça veut dire que moi qui suis musulman, je suis pas digne d'être français ? C'est ça." Et Bathily répète enfin tant bien que mal. La fachosphère s'en régale, et propage la délectable séquence, où l'on voit le Blanc de la télé souffler son texte au Noir inquiet et infantilisé.

Mais LCI ne va pas rester sur cet échec. Six minutes plus tard, à 21 h 52,  Lassana Bathily est de retour, pour une session repêchage. Larrouturou énumère ses garants d'honorabilité ("Barack Obama, François Hollande") tandis que la caméra se promène sur les témoignages de reconnaissance du maire de New York, de la communauté juive de Washington, et du pape François.  Plan sur un drapeau français : "Je précise qu'il était là avant qu'on vienne, vous avez quatre drapeaux français chez vous." Cette fois  la prise est bonne, on peut la garder, et c'est celle-là que LCI enverra sur les réseaux sociaux. 

L'intention de LCI est claire, et aussi nauséeuse que le programme de son invité : gratter la carapace du candidat ultra-nationaliste pour chercher l'étincelle d'humanité et de sens commun, le forcer à reconnaître qu'il existe de "bons" musulmans, qui sauvent les otages juifs dans les chambres froides, et qui mériteraient une exemption pour services exceptionnels, comme sous Pétain les anciens combattants une exemption au statut des juifs. Mais Zemmour n'en démordra pas.  "Moi, je ne vois que ce que je crois", répond-il dans un lapsus providentiel qui, révélant sa nature profonde de doctrinaire congelé, permet à LCI d'égaliser dans ce match boueux des réalités fabriquées. 


Lire sur arretsurimages.net.